Les symphonies de Schubert par René Jacobs, une intégrale magistrale
Franz Schubert (1797-1828) : Symphonies, intégrale. B’Rock Orchestra, direction René Jacobs. 2018 à 2020. Notice en anglais. 260’ 08’’. Un coffret Pentatone de 4 CD PTC 5187 353.
Enregistrée à Innsbruck en mars 2018 (1 et 6) et en février 2020 (3 et 5), à Roulers en juillet 2019 (2 et 4) et à Anvers en décembre 2020 (Inachevée et 9), et parue en disques séparés, l’intégrale des symphonies de Schubert par le B’Rock Orchestra dirigé par René Jacobs fait l’objet chez Pentatone d’une mise en coffret à prix doux.
Une aubaine pour ceux qui n’auraient pas thésaurisé ces quatre albums qui s’inscrivent comme d’importants jalons discographiques. Nos confrères Ayrton Desimpelaere (Symphonies n°1 et n°6,), puis Pierre Carrive (Symphonies n°2 et n°3 ; Symphonies n°4 et n°5 ; Symphonies n°8 et n°9 ) ont salué ces parutions dans nos colonnes, octroyant un Joker à trois d’entre elles. Nous partageons leur enthousiasme lors de l‘écoute en continu de ce coffret joliment présenté, avec des images de paysages en couverture des pochettes intérieures. Une notice réduite remplace l’abondance de textes qui accompagnaient chaque étape et constituaient une analyse approfondie de l’univers symphonique schubertien par René Jacobs. On peut le regretter, mais ceux qui souhaitent y avoir accès pourront le faire grâce à un lien qui est précisé.
Nous ne nous livrerons pas à une nouvelle présentation de cet ensemble passionnant joué sur instruments d’époque, renvoyant le lecteur aux analyses citées. Nous nous limiterons à des réflexions globales. La première, pour rappeler que René Jacobs estime que, grâce à l’élan de Mozart et de Haydn, la symphonie est devenue l’apogée de la musique instrumentale, une sorte d’opéra pour instruments. Quoi d’étonnant dans cette remarque venant d’un chanteur et chef d’orchestre qui a servi si bien la voix ? La seconde réflexion concerne la conception globale de l’approche de ce corpus schubertien par René Jacobs. Chez lui, la vivacité des tempos est mise en évidence par une jeunesse et une verdeur dynamique dans les premières partitions, qui se transforment par la suite en une énergie vitale débordante que ne dément jamais le discours. Le B’Rock Orchestra, fondé à Gand en 2005, s’en donne à cœur joie.
Ainsi, la Première bénéficie d’une fraîcheur conquérante, la Deuxième d’une souplesse dansante, la Troisième d’élans irrésistibles, dont un Presto vivace final d’une rare élégance. La puissante subtilité de la Quatrième crée un lien évident entre le classicisme et le romantisme, tandis que la Cinquième se souvient de Mozart, dans un contexte de charme permanent. La Sixième est notre coup de cœur absolu, avec sa spontanéité et son expressivité si riches, déployées dans les joyaux que sont ses deux derniers mouvements (Scherzo et Allegro moderato).
René Jacobs choisit de placer la Neuvième, son activité rebondissante et son final péremptoire, peut-être un peu trop retenu, avant une transcendante Inachevée, pour laquelle il fait preuve d’originalité. En tête de chacun des deux mouvements, un texte est récité par l’acteur autrichien Tobias Moretti ; il s’agit d’une narration autobiographique rédigée par Schubert en 1822, Mein Traum, où il évoque la mort de sa mère et la rupture d’avec son père avant réconciliation avec ce dernier. Cette démarche de Jacobs tend à accréditer une thèse datant déjà d’une centaine d’années, qui tendrait à démontrer que le terme d’Inachevée serait inapproprié, les deux parties connues se suffisant à elles-mêmes.
Cette intégrale de référence, qui se révèle passionnante de bout en bout, doit figurer dans toute discothèque schubertienne, à côté d’autres, considérées comme incontournables. Nous pensons bien sûr à celle de Frans Brüggen avec l’Orchestre du 18e siècle (Decca), et à celle de Nikolaus Harnoncourt avec l’Orchestre de chambre d’Europe (ICA Classics).
Note globale : 10
Jean Lacroix