Une expérience enrichissante

par
Meyerbeed

Peu de compositeurs ont été autant adulé pendant leur vie et vilipendé après leur mort comme Giacomo Meyerbeer, le représentant le plus important du « grand opéra », ce genre qui ravissait le public parisien de la première partie du 19e siècle par son ampleur (trois à cinq actes), son sujet historique, sa mise en scène spectaculaire avec ballet obligatoire, ses chœurs impressionnants et sa distribution luxueuse. Mais au cours du 20e siècle même les oeuvres les plus populaires de Meyerbeer comme « Les Huguenots », « L’Africaine » ou « Robert le Diable » disparaissaient de l’affiche parce qu'on trouvait la musique de Meyerbeer inférieure et ses opéras des spectacles superficiels aux effets gratuits… Et ne parlons pas du coût pour les réaliser comme prévu. Heureusement le grand opéra français suscite depuis quelque temps de nouveau l’intérêt à juger par les différentes productions récentes de « La Juive » de Halévy ou « Les Huguenots » et « L’Africaine » de Meyerbeer. Et maintenant le Aalto-Theater de Essen (avant le Capitole de Toulouse au mois de juin) s’est attaqué au "Prophète".
Cet opéra en cinq actes sur un livret de Eugène Scribe fut créé à Paris en 1849. Le « prophète » du titre est Jan Beukelsz.(1509-1536) de Leiden (Pays Bas) qui comme Jan van Leyden devint le chef des anabaptistes à Münster. Chez Scribe il s’appelle Jean de Leyde et nous ne sommes pas seulement témoins de son ascension chez les anabaptistes mais aussi et surtout de ses conflits personnels qui s’en suivent dans ses relations avec sa fiancée Berthe et sa mère Fidès. Jean (ténor) et Fidès (mezzo-soprano) sont les principaux acteurs dans ce drame et demandent de fortes personnalités vocales et dramatiques. La participation des chœurs est importante et le ballet, comme de coutume au troisième acte, laisse évoluer des patineurs dans le camp des anabaptistes qui se détendent. A noter qu'une version adaptée de la partition est à la base du ballet « Les Patineurs » de Frederick Ashton de 1937.
Au Aalto-Musiktheater la musique bien connue des patineurs fut bien jouée mais dans la mise en scène de Vincent Boussard il y avait peu de ballet excepté deux ballerines en tutu qui se promenaient dans l’action. Pas de cadre historique non plus évoqué par le décor et les costumes de Vincent Lemaire et Vincent Boussard. L’élément le plus important du décor est une scène tournante (trop souvent) avec des parois grises qui, avec quelques accessoires, doivent évoquer les différents lieux de l’action (des packs de bière entassés pour l’auberge de Jean) ou forment une tribune pour les cuivres de l’orchestre en habit pour la fameuse « Marche du Couronnement ». Dans ce cadre qui n’inspire guère les solistes, chœurs et figurants évoluent pour la plus grande partie dans des habits contemporains (jeans, tee-shirt et chemise ouverte pour Jean, tenues plutôt hippie pour les anabaptistes). Pourquoi Fidès doit tout le temps s’accrocher à son sac à main reste un mystère !
Si scéniquement cette production qui se concentrait plutôt sur la relation mère-fils que sur le contexte historique ou religieux n’était pas vraiment intéressante, la partie musicale du spectacle de quatre heures et demi était heureusement beaucoup plus passionnante. Cela en premier lieu grâce à Giuliano Carella et le Essener Philharmoniker qui ont donné une exécution remarquable de la glorieuse partition de Meyerbeer et nous ont fait découvrir les qualités musicales en dramatiques de l’œuvre, le surprenant solo de saxophone inclus. Grâce aussi aux chœurs impressionnants (Choeur de l’opéra, choeur extra et chœur d’enfants du Aalto-Theater). Et bien sûr grâce à la distribution convaincante avec en tête le Jean de John Osborn. Ce ténor américain s’est établi les dernières années non seulement comme un interprète éminent du répertoire belcanto (Rossini, Donizetti) mais aussi de l’opéra français du 19e siècle. Avec sa voix souple, homogène aux aigus brillants, son style et sa belle projection du texte il est un merveilleux interprète de ce répertoire spécial et difficile. A Fidès, Marianne Cornetti apportait un physique impressionnant et une voix de mezzo large et puissante qu’elle projetait de façon expressive mais pas toujours assez disciplinée. Mais la dernière confrontation mère-fils était un moment fort. Lynette Tapia (madame John Osborn) donnait à Berthe un soprano (trop) léger et souple. Elle n’est pas une grande actrice et était surtout convaincante dans les moments plus dramatiques. Les trois anabaptistes étaient représentés par le metteur en scène comme des figures assez étranges et même parfois ridicules mais avaient les bonnes voix du ténor Albrecht Kludszuweit (Jonas) en deux chanteurs belges le baryton Pierre Doyen (Mathisen) et la basse Tijl Faveyts (Zacharie). Surtout Tijl Faveyts impressionnait dans sa partie exigeante avec sa voix sonore. Conclusion : une expérience enrichissante !
Erna Metdepenninghen
Essen, Aalto-Musiktheater, le 14 mai 2017

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