Une invitation à partager l’intimité du coucher du Roi Soleil

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Le Coucher du Roi. Musiques pour la chambre de Louis XIV. Extraits vocaux et instrumentaux d’œuvres de Michel-Richard de Lalande (1657-1726), Etienne Lemoyne (ca 1640-1715), Michel Lambert (1610-1696), Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Anne Danican Philidor (1681-1728), Robert de Visée (ca 1650 - après 1732), Sébastien Le Camus (ca 1610-1677), Michel de la Barre (ca 1675-1745), Marin Marais (1656-1728) et François Couperin (1668-1733). Danaé Monnié, dessus ; Marc Mauillon, basse-taille ; Les Musiciens du Roi, théorbe, guitare et direction Thibaut Roussel. 2019 et 2020. Notice en français, en anglais et en allemand, avec textes en trois langues des airs chantés. 74.00. Château de Versailles CVS029 (+ DVD Bonus de 59.00). 

Le diplomate et mémorialiste Philippe de Courcillon, marquis de Dangeau (1638-1720), a tenu un Journal presque quotidien du règne du Roi Soleil à partir de 1684. Cette précieuse source d’informations, dont les dix-neuf volumes couvrant une trentaine d’années ont paru chez Firmin Didot à Paris de 1854 à 1860, était modérément appréciée par Saint-Simon (un peu par jalousie ?), mais Voltaire déjà, en 1760, lui rendit justice en publiant des extraits de ces témoignages de première main. On relève parmi les notes prises par le marquis de Dangeau : Le petit coucher était ordinairement fini à minuit et demi, au plus tard à une heure. (François Bluche : Louis XIV, Paris, Fayard, 1986, p. 558). Le souverain se levait tard, et c’est également tard qu’il entrait en sommeil. Après le rituel public et strictement réglé du Grand Coucher, des concerts se donnaient le soir dans les appartements de Madame de Maintenon, mais il arrivait souvent que des instrumentistes soient appelés en nombre limité pour le moment privé du « petit coucher » de Sa Majesté. L’excellente notice de Thomas Leconte, qui fait partie des exécutants, dévoile les détails musicaux d’un soir de fin de vie du roi, peu avant minuit, à Versailles. Le présent CD, comme l’indique en introduction le meneur de jeu Thibaut Roussel, invite l’auditeur à imaginer les possibles échos d’une soirée de 1713.

Cette très convaincante reconstitution ne doit pas faire oublier que l’époque festive est révolue en ce début de XVIIIe siècle, et que l’austérité, la rigueur et la dévotion religieuse sont devenues prioritaires. Cela n’empêche pas Louis XIV d’égrener ses souvenirs, de façon nostalgique sinon amère, et surtout de partager avec ses musiciens préférés des instants complices. Le faste passe au second plan, et l’on pénètre dans un univers intime et plus secret, au charme indéfinissable. C’est le Surintendant Michel-Richard de Lalande qui a le privilège d’ouvrir la séance avec un Prélude pour trois violes (Myriam Rignol, Mathilde Vialle et Julie Dessaint) avant qu’une Grande Pièce royale de 1695 en tutti vienne se glisser, faisant ainsi grand plaisir au roi qui l’appréciait particulièrement. Se succèdent alors une bonne vingtaine de morceaux divers que servent les violes des solistes précités, les violons de Josèphe Cottet et Yoko Kawakubo, les flûtes allemandes de Thomas Leconte et Valérie Balssa, le clavecin de Sébastien Daucé et les théorbes et guitares de Romain Falik et Thibaut Roussel, qui entraîne ces artistes en formations variées dans un climat général inspiré, empreint d’effusions réservées ou d’engouement communicatif, avec un élan maîtrisé. Etienne Lemoyne, Robert de Visée, qui prodigua des cours de guitare au roi, ou Marin Marais font ainsi leur apparition. Philidor, de son côté, a construit une suite sur des pages de Lully, dont le souvenir est bien présent, il se charge par ailleurs de recopier maintes œuvres pour la postérité dans de grands cahiers… Si les instruments sont mis en valeur, le chant l’est tout autant. Marc Mauillon, qui connaît au plus haut point l’art de ciseler sa voix, et Danaé Monnié, qui enfile hardiment les aigus, servent avec finesse des airs de Michel Lambert (superbe Dialogue de Marc-Antoine et Cléopâtre) ou de Sébastien Le Camus.  Après plus d’une heure de fervente complicité, retour au début par la présence de deux violes dans Le Dodo ou l’amour au Berceau de François Couperin, publié seulement en 1722, symbole de la période qui va suivre le décès de Louis XIV, sept années au cours desquels Versailles va entrer en léthargie avant de renaître. Tout au long de ce CD enchanteur, qui fait la part belle à la recherche du sommeil, mais aussi au rêve, on pense à la grandeur d’un règne profondément marqué par la musique.

Un DVD Bonus est joint à cet album. Excellente initiative, mais l’on cherche vainement dans la notice le programme de ce complément filmé le 22 juin 2020 dans les Grands Appartements du Château de Versailles (le CD a été enregistré du 15 au 18 juillet 2019). Négligence éditoriale ? Heureusement, les interprètes sont mentionnés :  treize instrumentistes (les mêmes que sur le CD - sauf Romain Falik -, auxquels viennent s’ajouter les violonistes Birgit Goris et Béatrice Linon, la basse de violon Antoine Touche et la harpiste Caroline Lieby) et trois chanteurs (Danaé Monnié, Eugénie Lefèbvre et Etienne Bazola). Ce DVD, dont on ne découvre le contenu qu’en le plaçant dans son support adéquat, est toutefois bien précieux. Il ne s’agit pas d’un concert, mais de douze séquences, placées dans un contexte lumineux, où l’on retrouve plusieurs choix du disque : Lalande, de Visée, Lambert, Lully, Le Camus (l’air magique Laissez durer la nuit, distillé avec délectation par Danaé Monnié) et Couperin. On découvre aussi la gracieuse Sonate en quatuor op. 1 de Louis-Antoine Dornel (1680-1757), une sonate en trio de Hotteterre (1673-1763) pour deux flûtes et basse continue, et trois airs, dont l’extrait Tant qu’a duré la nuit, tiré de L’Amour fléchi par la constance, un petit bijou de Michel-Richard de Lalande, qu’Eugénie Lefèbvre chante en pleine extase. Cette soprano est en trio avec Danaé Monnié et la basse Etienne Bazola dans deux airs de Lambert, dont Pour être aimé, qui fait l’objet d’une amusante petite mise en scène galante. 

On regrette que le copieux livret, soigné comme toujours chez ce label, ne dise pas un mot d’Eugénie Lefèbvre ni d’Etienne Bazola, ni des quatre nouveaux solistes, alors que tous les interprètes du CD bénéficient d’une courte et utile présentation. La radieuse soprano qu’est Eugénie Lefèbvre s’est déjà produite avec le Concert d’Astrée, les Arts Florissants, Pygmalion, l’Ensemble Correspondances ou Le Poème Harmonique ; quant à Etienne Bazola, il travaille régulièrement avec des ensembles baroques, comme les Talens Lyriques ou Les Surprises. Tous deux auraient bien mérité un petit portrait dans la notice globale, tout comme Birgit Goris, Béatrice Linon, Antoine Touche et Caroline Lieby. Quoiqu’il en soit, CD et DVD procurent un bien agréable plaisir musical. 

Son : 9    Livret : 9    Répertoire : 9    Interprétation : 10

Note globale du DVD : 9

Jean Lacroix   

 

 

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