Une Manon de grande classe ouvre les feux à Lausanne

par

Anne-Catherine Gillet, J.Osborn © Marc Vanappelghem

L’Opéra de Lausanne ouvre sa saison avec ‘Manon’ de Jules Massenet ; et Anne-Catherine Gillet s’empare du rôle-titre en lui conférant une crédibilité de chaque instant. Par la qualité de son timbre de grand lyrique, la provinciale naïve, riant sous cape des maladresses de Guillot de Morfontaine, se laisse gagner par la passion et par le plaisir qui précipite sa chute ; la conscience de ses erreurs édifie la grandeur de son personnage dans un art de la diction et du phrasé que l’on retrouve chez son partenaire, John Osborn, conférant au Chevalier des Grieux la stature d’un jeune intrépide qui, finalement, s’impose davantage dans le répertoire français que dans l’ ‘opera seria’ rossinienne. Plus convaincant que le Frédéric de ‘Lakmé’, le Lescaut de Boris Grappe laisse apparaître un bon cœur souvent touchant sous la faconde provocatrice. Patrick Bolleire a naturellement l’autorité péremptoire du Comte des Grieux, Marc Mazuir, l’élégance de M.de Brétigny et Thomas Morris, l’involontaire drôlerie d’un Guillot menant avec habileté le trio Poussette-Javotte-Rosette constitué par Céline Mellon, Juliette de Bannes Gardonne et Camille Merckx.                       A la tête des Chœurs de l’Opéra de Lausanne (préparés par Jacques Blanc) et de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, la direction de Jesus Lopez Cobos fait valoir le coloris rutilant d’une partition, véritable ‘exercice de style’ imitant le XVIIIe siècle. Quel dommage qu’il accepte la coupure du tableau « Voici l’Opéra ! », quand cinq ou six danseurs auraient produit l’effet escompté par quelques entrechats sur tréteaux de foire. Dans un jeu de lumières adroitement échafaudé par Patrick Méeüs, les décors d’Alessandro Camera sont d’une sobriété extrême, en accord avec le coloris pastel des costumes imaginés par Carla Ricotti. Et la mise en scène d’Arnaud Bernard restitue une atmosphère pré-révolutionnaire en usant de panneaux coulissants entre chaque tableau. Ainsi, l’on passe de la liesse populaire de l’auberge à une mansarde à l’intimité étouffante, d’un Cours-la-Reine à la fébrilité incontrôlée avec apparition inattendue d’une montgolfière, d’un tripot tout aussi agité à la sordide réalité de la déportation au Havre. Au sein de ce tohubohu, l’isolement de chaque personnage fige le mouvement comme un arrêt sur l’image, avant que l’engrenage ne se remette en marche tout aussi artificiellement.     Le public ne s’y trompe pas et fait fête à l’ensemble de la production.
Pierre-André Demierre
Opéra de Lausanne les 3 et 10 octobre 2014  

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