Une passionnante intégrale des symphonies de Marcel Poot

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Marcel Poot (1901-1988) : Symphonies n° 1 à 7. BRTN Philharmonic Orchestra, direction Hans Rotman ; Orchestre Symphonique de la Radio Nationale Belge, direction Franz André ; Orchestre Symphonique de Moscou, direction Frédéric Devreese ; Philharmonie van Antwerpen, direction Léonce Gras. 1960, 1971, 1995-96. Notice en anglais, en néerlandais et en français. 141.26. Un album de deux CD Naxos 8.574292-93.

Ah, l’excellente initiative ! Réunir en un album de deux CD les sept symphonies de Marcel Poot dont l’écriture s’étale de 1929 à 1982, embrassant ainsi presque toute l’étendue d’une carrière bien remplie. Né à Vilvorde dans une famille dont le père est directeur du Théâtre National Flamand de Bruxelles, le jeune homme entre au Conservatoire de Bruxelles en 1916 et y reçoit l’enseignement d’Arthur De Greef pour le piano et de Martin Lunssens pour l’harmonie. Trois ans plus tard, il poursuit sa formation au Conservatoire d’Anvers, auprès de Lodewijk Mortelmans (fugue et contrepoint) et reçoit aussi des cours privés de Paul Gilson. L’année 1925 est importante pour le musicien : cette année-là, il fonde, avec une série d’autres compositeurs (au nombre desquels René Bernier, Gaston Brenta ou Francis de Bourguignon), le Groupe des Synthétistes actif pendant cinq ans, en particulier dans l’organisation de concerts communs. C’est cette même année que débute, avec Paul Gilson, l’aventure de la Revue Musicale Belge dans laquelle Poot écrit jusqu’à la disparition du mensuel en 1939 ; plus tard, sa plume de critique musical occupera aussi des colonnes des journaux Le Peuple et La Nation belge. Dans l’intervalle, il a eu l’occasion en 1930 de suivre à Paris les cours de Paul Dukas à l’Ecole Normale de Musique, grâce à l’obtention du Prix Rubens.

Marcel Poot devient professeur au Conservatoire de Bruxelles à partir de 1938, poste qu’il occupera jusqu’en 1966, tout en devenant en 1949 le Directeur de cette institution, non encore séparée en deux sections linguistiques. En 1960, son Concerto pour piano est l’œuvre imposée de la finale du Concours Reine Elisabeth -remporté par l’Américain Malcolm Frager. Trois ans plus tard, il est chargé de la Présidence du jury du même Concours, fonction qu’il occupera jusqu’en 1980 ; il sera aussi Recteur de la Chapelle Musicale de 1969 à 1976. Marcel Poot occupera d’autres responsabilités dont la présidence de l’Union des Compositeurs. Il a été élu académicien avant d’être fait baron.

Le catalogue de Marcel Poot est fourni : abondante musique orchestrale, musique de chambre, pièces pour piano, deux opéras, trois ballets, deux oratorios. L’Ouverture joyeuse de 1930, d’un humour irrésistible, a connu un très grand succès, y compris sur le plan international. Le présent album regroupe ses sept symphonies dont cinq avaient déjà connu les honneurs d’un enregistrement. Dans les années 1990, le label Marco Polo, dans une série de vingt CD intitulée « Anthologie de la Musique Flamande », avait en effet confié la mission d’enregistrer des pages de musique orchestrale belge à Frédéric Devreese à la tête du Symphonique de Moscou. Les Symphonies 3, 5 et 7, auxquelles était jointe la Tarentelle, figuraient sur un disque (8.223805), la Sixième, couplée avec la Suite Pygmalion, l’Allegro symphonique et l’Ouverture joyeuse que nous venons d’évoquer sur un autre (8.223775). Le compositeur/chef d’orchestre Frédéric Devresse (1929-2020) -dont un concerto pour piano avait été l’œuvre imposée du Concours Reine Elisabeth de 1983, et qui était célèbre aussi pour ses musiques de films d’André Delvaux, Marion Hänsel ou Hugo Claus- s’acquitta à merveille de sa tâche. Ici, les compléments ont disparu, ne laissant la place qu’aux symphonies. Quant à la Quatrième, elle a fait l’objet d’une gravure chez Cultura, suite à l’enregistrement effectué en novembre 1971 par la Philharmonie d’Anvers, sous la baguette de Léonce Gras (1908-1983) que l’on vit souvent à la tête de l’Orchestre de l’INR dès la fin de le Seconde Guerre mondiale. Seules les Symphonies n° 1 et 2 sont des premières discographiques. La Symphonie n° 1 est conduite, le 3 juillet 1996, par Hans Rotman, originaire de Rotterdam, à la tête du BRTN Philharmonic Orchestra, la Deuxième pendant l’été 1960, par Franz André (1893-1975) dont les habitués du Studio 4 de la Place Flagey de Bruxelles/Ixelles conservent un souvenir vivace lorsqu’il menait l’Orchestre National de la Radio. Ces deux gravures proviennent des archives de cette dernière, le second étant en mono. 

Pour cette édition, on saluera le travail éditorial de Naxos qui s’est donné la peine d’ajouter une longue notice en trois langues, dont le néerlandais et le français. Signée par Luc Vertommen et Jacques Van Deun, elle fait une présentation générale du compositeur, puis détaille de façon conséquente chacune des symphonies. Nous laisserons donc au mélomane le plaisir de lire avant audition ces précieuses indications qui permettent d’entrer encore mieux dans cet univers musical. Comme ce texte l’indique, le style de composition de Marcel Poot, vivant et énergique, est celui d’un esprit juvénile et malicieux, dont la joie de vivre s’exprime à travers des motifs mélodiques courts et des rythmes mordants. Ajoutons-y de la concision (la plus longue n’atteint pas les 25 minutes), de la couleur, de la vitalité, souvent fougueuse, dans un contexte de tonalité librement personnelle et de synthèse spontanée entre l’ancien et le moderne, comme le fait encore remarquer la notice. Poot est un néoclassique qui écrit une musique d’accès immédiat et plaisant, qualité que l’on retrouve dans chacune de ces partitions, toutes en trois mouvements.

Ecrite en 1929, la Symphonie n° 1 témoigne d’une écoute attentive par le compositeur des apports de Ravel, Strawinsky et Richard Strauss, avec des allusions à l’ambiance du cinéma muet et du jazz. Le rythme y est très présent et l’orchestration magistrale. La Deuxième (de 1937) accorde une place plus grande au lyrisme, avec des traitements polyphoniques ardents dans l’Andante tranquillo. Poot attend quinze ans avant de composer sa Symphonie n° 3 en 1952, impétueuse et résolue comme les indications de mouvements le suggèrent, avec une vraie émotion lyrique et des moments de danses. Poot n’est plus Directeur du Conservatoire de Bruxelles lorsqu’il se décide à écrire sa Quatrième en 1970, après un peu moins de deux décennies consacrées à d’autres formes. Trois autres symphonies vont suivre, sur douze années (1974, 1978, 1982). Elles témoignent d’une évolution chez le compositeur, l’émotion y tenant une place moins régulière, mais toujours dans un esprit formel dont la construction est rigoureuse. La grande maturité est l’occasion d’une Sixième au sein de laquelle les cordes et un ensemble de vents sont accompagnés d’une percussion discrète qui ne fait que ponctuer le débat dans une atmosphère aux accents puissants. Poot semble avoir atteint ici une sorte de perfection dans la forme symphonique, avec des durées de mouvements équilibrées. La Septième montre à quel point le compositeur, au-delà de ses 80 ans, maîtrise la science de l’orchestration, dense, concentrée et imaginative.

Il est certain que maints mélomanes, s’ils ne connaissaient pas ces pages inspirées, seront séduits par leur inventivité. Marcel Poot était un créateur de talent dont les œuvres pourraient figurer de nos jours, avec un bonheur régulier, aux affiches des concerts. On est heureux aussi de retrouver ici le talent de formations belges, les figures de Léonce Gras et surtout de Franz André, ainsi que la belle implication de Frédéric Devreese avec une formation moscovite, créée en 1989, qui le suit comme un seul homme. Peut-on espérer que Naxos -ou un autre label- se penche largement sur tout le patrimoine symphonique belge du XXe siècle, si négligé au disque alors qu’il est riche de remarquables partitions ? Il y a tellement de compositeurs dont il faudrait rendre le souvenir vivant.

Son : 8,5  Livret : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix       

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