Une rencontre au sommet, le duo Martha Argerich - Renaud Capuçon
Chaque année, au Victoria Hall de Genève, l’Agence Caecilia organise de prestigieuses soirées dans le cadre de sa série ‘Les Grands Interprètes’. Du concert prévu le 9 septembre avec l’European Philharmonic of Switzerland dirigé par Charles Dutoit, il ne reste que la soliste annoncée, Martha Argerich, qui dialogue avec Renaud Capuçon dans un programme sans entracte qui est proposé le même soir deux fois de suite, à 18h et à 20h 30.
Dans une salle bondée où le port du masque est obligatoire, le public médusé est impressionné d’emblée par l’énergie débordante que le piano tire du roulement de doubles croches ouvrant l’Allegro assai de la Huitième Sonate en sol majeur op.30 n.3 de Beethoven. Dans un son plus retenu, le violon se laisse gagner par le phrasé émoustillant qu’impose la meneuse de jeu en le saupoudrant de trilles clairs ; puis il se libère dans le Tempo di minuetto qui est assimilé à un andante méditatif embué de larmes amères où l’un écoute l’autre avec une attention soutenue. Et le Finale tient du scherzando échevelé qui vous réjouit.
Changement de décor avec la sublime Sonate en la majeur de César Franck que le piano plonge dans un climat mystérieux quelque peu interrogatif auquel le violon répond par une simplicité résignée ; mais les octaves et accords descendants au clavier animent le discours d’une générosité que l’archet prendra à son compte afin de modeler une cantilène radieuse. Puis une houle déferlante des basses emporte l’Allegro anxieux dont la tension se relâchera grâce à la clarté des aigus enveloppés dans un legato sensible. Le Recitativo renoue librement avec l’étrangeté du début que les formules en arpèges semblent diluer pour laisser place à l’Allegro mosso conclusif où les deux complices se répondent en un chant apaisé que la nuance piano subito innervera sournoisement d’inquiétude, confinant la reprise du thème initial à une lointaine réminiscence. Mais l’animato des dernières mesures apportera une conclusion brillante que pimenteront les trilles victorieux du violon.
Devant l’enthousiasme des spectateurs qui en oublient leur masque pour manifester bruyamment leur joie, les deux artistes, bons princes, offrent deux bis, un ahurissant Scherzo de la Deuxième Sonate en ré majeur op.94 de Sergey Prokofiev et un Liebesleid de Fritz Kreisler au charme ravageur légèrement suranné.
Crédits photographiques : Simon Fowler
Paul-André Demierre
Genève, Victoria Hall, le 9 septembre 2020