A Genève, un duo de choc !

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Le samedi 16 mars, dans un Victoria Hall bondé jusqu’au dernier strapontin, deux légendes du piano, Martha Argerich et son troisième époux, Stephen Kovacevic, ont donné un récital en répondant à l’invitation de l’Agence Caecilia pour sa prestigieuse série ‘Les Grands Interprètes’.

Deux pianos de concert sont placés côte à côte ; et le duo propose d’abord une transcription des Danses symphoniques réalisée par Rakhmaninov lui-même quelques mois après la création de la version originale donnée le 3 janvier 1941 par ses dédicataires, Eugene Ormandy et l’Orchestre de Philadelphie. Ce remaniement fut présenté lors d’une soirée privée d’août 1942 à Beverly Hills par l’auteur dialoguant avec… Vladimir Horowitz. Récemment, la firme Marston a publié un enregistrement de quelques extraits joués en solo par le compositeur à la fin décembre 1940, comportant des modifications harmoniques que nos interprètes ont décidé de restituer.

De manière inquiétante, sur trois notes arpégées, s’ébauche le dialogue d’où naîtra le premier thème que Martha Argerich articule avec énergie en profitant de tout accent pour le rendre incisif ; puis de volutes translucides émises par Stephen Kovacevic, s’impose un climat pastoral qui, au terme du développement, s’imprègnera d’une nostalgie pesante. Par l’étrangeté des accords rappelant les sphères éthérées de La Valse de Ravel, l’Andante médian claudique quelque peu jusqu’au moment où la pianiste projette un trille phénoménal faisant sourdre une danse aux relents amers. Et de cinglants carillons emportent le dernier Allegro qui s’appuie sur de tonitruantes basses ; se répand une lancinante douleur qui, poussée au paroxysme, entraînera une péroraison d’une rare véhémence.

La seconde partie de programme est entièrement dédiée à Claude Debussy et débute par En blanc et noir, triptyque pour deux pianos datant de 1915, imprégné de l’atmosphère sinistre de la Première Guerre. Emportée par un lyrisme ailé, la première page joue subtilement du rubato pour faire apparaître quelques lignes saillantes qu’engloutira le pianissimo étale du ‘Lent.Sombre’ avec un motif de choral zébré de traits acides, quand le finale arbore un coloris fauve irisé d’envolées de cloches.

Sous des voiles vaporeux qu’entrouvre le pianiste se développe l’évocation de la courtisane mauresque Lindaraja (élaborée en avril 1901) usant déjà du rythme obsessionnel de La Soirée dans Grenade du cahier des Estampes.

Et la transcription du célèbre Prélude à l’après-midi d’un faune ploie sous une étouffante torpeur dont le jeu de pédale déploie les résonnances ; de rapides formules d’ornementation suggèrent l’éveil des nymphes qui s’épouvantent devant l’exubérante sensualité du satyre ; mais l’atmosphère de langueur finira par réfréner ses pulsions.

En bis, le duo n’utilise plus qu’un seul instrument et leurs quatre mains pour offrir au public en délire l’une des valses tirées des Liebeslieder-Walzer de Brahms puis En bateau, la première page de la Petite Suite de Claude Debussy.      

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 16 mars 2019

Crédits photographiques : Adriano Heitman

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