Une tentative réussie d'une Turandot "originale"

par

© Lorraine Wauters

Le célèbre - et souvent sulfureux - metteur en scène Calixto Bieito avait déjà tenté d'apporter une solution originale au finale inachevé de Turandot de Puccini. A Toulouse, en 2015, il laissait les chanteurs terminer la représentation en tenue de soirée. Ici à Liège, José Cura va plus fort : il supprime radicalement le finale habituel d'Alfano, et laisse donc la partition en l'état où elle se trouvait, ce 29 novembre 1924, jour de la mort de Puccini à Bruxelles. Comme au soir de la création par Toscanini en 1926, l'opéra se termine par la mort de Liu. Durant la brève déploration qui suit, Timur se métamorphose en... Puccini, s'étend et meurt, salué par ses personnages. Un petit garçon croise ses mains sur sa poitrine. L'instant est émouvant. Des enfants sont par ailleurs présents tout le temps de la représentation, devant le rideau, jouant au Lego sous la direction de leur professeur-mandarin, aux dépens, parfois, de l'aspect tragique. Le ténor argentin est un excellent metteur en scène, que les spectateurs liégeois ont pu apprécier dans Samson et Dalila ou dans le diptyque Cav/Pag. Frappé par la Porte du Midi de la Cité interdite à Pékin, il la reconstitue de manière sobre : décor en U, laissant toute la place au choeur, personnage essentiel de l'oeuvre, et placé tout simplement à gauche et à droite de la Porte. La direction d'acteurs est efficace; en prime, lumières (Olivier Wéry, superbes durant la scène des énigmes) et costumes (Fernand Ruiz) apportent une contribution importante à l'ambiance orientale. Hormis quelques détails puérils (les ministres se déshabillant pour révéler des sous-vêtements inspirés par la BD, les grosses boules multicolores figurant les joyaux offerts à Calaf), l'aspect visuel constituait une nouvelle réussite scénique de Cura. Vocalement, le fort ténor incarnait un prince Calaf très engagé, de son pari insensé à la fin du premier acte, rythmé par trois formidables coups de gong, jusqu'au "Nessun dorma" final tant attendu, et dont il a bien tenu le contre-ut sur "Vincero". Née à Catane comme Bellini, Tiziana Caruso se devait d'honorer son patronyme, en se consacrant à l'opéra. D'un grand charme physique dans son long pijama blanc, elle possède le métal requis par une tessiture meurtrière, et son interprétation d'"In questa reggia" est remarquable d'intensité dramatique. Heather Engebretson, jeune soprano américaine, possède une voix acidulée et pointue, qui servirait mieux le page Oscar d'"Un Ballo in maschera" que la tendre esclave amoureuse du prince inconnu. Mais la musicalité était là, et c'est l'essentiel. Timur sobre et touchant de Luca Dall'Amico, ministres sautillants et infatigables de Patrick Delcour, Xavier Rouillon et Papuna Tchuradze, empereur moyen de Gianni Mongiardino, et Mandarin bon acteur de Roger Joakim. L'excellent chef de choeurs Pierre Iodice, ici aux premières loges, livre une fantastique prestation, justement saluée par un public enthousiaste, tout comme Paolo Arrivabeni. Le chef, dont cette saison sera la dernière, à la tête d'un orchestre de l'ORW bien préparé, jubilait manifestement en jouant la partition sans doute la plus brillante de Giacomo Puccini. Une production magistrale.
Bruno Peeters
Liège, Opéra Royal de Wallonie, le 25 septembre 2016

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