Václav Neumann à Lucerne
Antonín Dvořák (1841-1904) : Symphonie n°8 en sol majeur, Op.88 ; La Colombe, Op.110 ; Bedřich Smetana (1824-1884) : Ouverture de l'opéra Libuše. Czech Philharmonic Orchestra, direction : Václav Neumann. 1984 et 1988. Livret en allemand, anglais et français. 64’29’’. Audite 97.832
Le cru 2024 de la collection des archives du festival de Lucerne sous l’étiquette des Berlinois d’Audite nous propose un hommage au chef d'orchestre Václav Neumann (1920-1995) à la tête de l'Orchestre philharmonique tchèque de Prague. Avec le temps, cette figure de l’art de la direction a trop tendance à rejoindre la liste injuste des oubliés de l’art de l’interprétation. Son rôle dans la diffusion de la musique de Mahler est essentiel avec une intégrale gravée pour le label tchèque Supraphon avec ses musiciens de la philharmonie tchèque dont il fut le chef permanent de 1968 à 1990. Il remit son Mahler sur le métier avec une presque seconde intégrale pragoise (à laquelle il manque une Symphonie n°8) pour les hifistes Japonais de Exton. Václav Neumann fut un apôtre de la musique de Mahler appartenant à une génération qui, comme Leonard Bernstein ou Rafael Kubelik, inscrivit Mahler au répertoire de tant d’orchestre leur permettant de s'approprier ce langage désormais si commun ; c’est ainsi Václav Neumann qui dirigea au début des années 1980 la première intégrale complète des symphonies de Mahler au pupitre de l’Orchestre national de France.
Mais revenons à Lucerne avec ces archives issues des éditions 1984 et 1988 du célèbre festival. C’est une période intéressante car cette décennie n’est pas considérée comme l’une des plus étincelantes de la philharmonie tchèque avec laquelle le maestro se présentait face au public suisse. Outre Mahler, Dvořák était évidemment une terre d’excellence du chef et de ses musiciens. Dans la Symphonie n°8, on apprécie la fraîcheur d’une interprétation à la fois dynamique mais aussi fruitée à la clarté d’un paysage de sous-bois tchèque au printemps. Cette fabuleuse symphonie est trop souvent mal comprise, à la fois “brahmsisée” (comme le faisait Herbert von Karajan) ou transformée en une mécanique implacable d’un concerto pour orchestre par des phalanges de haut vol en parade. Avec Václav Neumann, le matériau musical est léger et aéré mais aussi énergique quand il le faut, sans lourdeurs ou effets de manche. La texture veloutée des pupitres tchèques est encore très marquée et le résultat musical est de très haut vol. On monte encore d’un cran avec une lecture magistrale de poème symphonique La Colombe. Tous les pupitres composent un univers sonore magique par la beauté des timbres et le style d’une direction qui s'envisage comme le peintre d’une nature gorgée de teintes et de saveurs poétiques et évocatrices.
En conclusion de cet album, Václav Neumann dirige le prélude du trop rare opéra Libuše de Smetana avec ce qu’il faut de dramatisme.
Si ce n’est pas l’archive la plus indispensable de la collection du festival de Lucerne, cet album nous rappelle quel grand chef était Václav Neumann dans son arbre généalogique musical et le mélomane peut apprécier les couleurs de la philharmonie tchèque avant une certaine l’uniformisation du son, en particulier dans les cordes et les vents.
Son : 7/8 Notice : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 9
Pierre-Jean Tribot