Vivre dans le feu : des œuvres de Stravinsky sous la direction de Vladimir Jurowski

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Igor Stravinski (1882-1971)  L'Oiseau de feu, ballet en 2 tableaux ; Le Sacre du printemps, ballet en 2 parties ; Symphonie en mi bémol majeur ; Faune et bergère, op. 2 ; Scherzo fantastique, op. 3, Chant funèbre, op. 5. Angharad Lyddon, mezzo-soprano, London Philharmonic Orchestra, Direction : Vladimir Jurowski. 2022. LPO (2CD) LPO0123

Un proverbe russe dit « donne le doigt au Diable et il voudra toute la main. ». Si Vladimir Jurowski n’est pas le diable, il arrive malgré tout à nous séduire une fois de plus et à nous entrainer dans un voyage virevoltant et mystique dans les profondeurs de la Russie éternelle.

Quand on prend le temps d’analyser notre histoire de près, on s’aperçoit rapidement qu’il y a des années fastes en évènements marquants. Très récemment nous pouvons penser bien évidemment à 1945, 1968, 1979 ou bien encore 1989 ou 2001. Pour la direction d’orchestre russe, cette année qu’il faut marquer d’une pierre blanche est 1972. Dans un intervalle d’à peine deux mois, l’URSS brejnévienne d’alors voyait naître sur son sol deux des plus grands chefs actuels : Kirill Petrenko et donc Vladimir Jurowski.

50 ans, quel bel âge ! Celui de la maturité, de la confirmation et des postes prestigieux. Petrenko est à Berlin -le graal- où il brille et Jurowski lui a succédé à la tête du Bayerisches Staatsorchester. Quand on vous dit que ces deux-là se suivent… Avant d’arriver en Bavière, le très jeune Jurowski s’était vu confier en 2007 les destinées du London Philharmonic qu’il dirige toujours d’ailleurs en plus du Bayerischer, de l’Orchestre de la Radio de Berlin et de celui de la Fédération de Russie… Jurowski pourrait presque reprendre à son compte cette vieille blague années 60 sur Karajan lorsque ce dernier dirigeait aussi bien à Berlin qu’à Vienne ou même Salzbourg : Un chauffeur de taxi demanda un jour sa destination à Karajan. « Ça n'a aucune importance, aurait répliqué le maestro, on m’attend partout. ».

Mais ce succès ne doit rien au hasard. Derrière sa dégaine de néo Beatles des années 2000, Jurowski sait créer la « hype » grâce à un talent hors normes. A chaque nouvelle parution on peut s’attendre à un disque plein de frissons et de passion. Encore un point commun avec son compatriote Petrenko. Rares sont les chefs actuels qui génèrent une telle curiosité bien loin des gesticulations de l’autre chef russe (naturalisé) né en 1972…Téodor Currentzis.

Pendant ses longues années à Londres, s’il y a un répertoire que Jurowski aura labouré en long et en large, c’est bien celui d’Igor Stravinski. Ce volume en est le reflet avec une série de captations de concerts où se dessine davantage un architecte, un bâtisseur de cathédrales sonores qu’un poète ou un danseur. Hercule plutôt qu’Apollon !

« Tout est dans le poignet Major ! » disait Roger Moore en James Bond dans Octopussy, avec Vladimir Jurowski tout est dans le rythme et la battue. Tout pour la symphonie mais que reste-t-il de Diaghilev, de Nijinski ou de Pouchkine (Faune et bergère, op. 2) au final ? De la danse et du chant ? C’est tout le problème de ce double album. Les amoureux de grandes et belles envolées orchestrales seront aux anges comme nous. La direction est claire, le geste expert et le souffle parfois tellurique. Comme nous pouvions nous y attendre, La danse infernale du Roi Kastchei est d’anthologie. Le Sacre du Printemps pourrait à lui seul servir de disque test chez tous les bons revendeurs de matériel hifi ou si vous voulez punir vos voisins pour leur dernière soirée un peu trop bruyante.

C’est donc une lecture très premier degré manquant parfois de certaines nuances entendues ailleurs. Il y a bien ici ou là des accents mystiques. On parle de légendes russes quand même ! Les références sont si nombreuses que le LPO et son directeur musical sont comme des vacanciers sur l’A7 entre Lyon et Orange le dernier week-end de juillet, noyés dans la masse. On passe un bon moment, l’exécution est de premier ordre, le LPO est en grande forme, on met donc une note satisfaisante mais quelle place pour cet opus dans la constellation Stravinsky ?

Comme souvent dans ces cas-là nous recherchons des réponses dans la sagesse populaire, à nouveau russe pour l’occasion avec cet adage : Le vin est innocent, l'ivrogne seul est coupable. Rendons grâce car cela signifie que nous sommes trop bien habitués. Avec les récents anniversaires rendant hommage au compositeur (2012 et 2021), nous avons eu notre lot de rééditions et parutions en pagaille. Difficile de s’imposer et de nous surprendre, maintenant la barre est haute. Nous resterons donc fidèles à Salonen II ou Markevich pour le Sacre et à Dorati pour l’Oiseau de feu. Ceux qui veulent creuser davantage les autres œuvres proposées se tourneront vers les coffrets consacrés à Bernstein ou au compositeur lui-même.

Son : 10 – Répertoire : 10 – Interprétation : 8

Bertrand Balmitgère

 

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