Vladimir Jurowski dirige une Symphonie des Alpes de Richard Strauss qui manque d’élévation 

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Richard Strauss (1864-1949) : Eine Alpensinfonie, op. 64. Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin, direction : Vladimir Jurowski. 2019. Notice en anglais et en allemand. 48.58. Pentatone PTC 5186 802.

La Symphonie des Alpes de Richard Strauss, qui date de 1915, est souvent considérée comme une grosse machine orchestrale, qui utilise un effectif monumental. Elle est vue parfois aussi comme une démonstration de grandiloquence gratuite, accompagnée de thèmes lyriques qui sont sans doute évocateurs, mais à l’inspiration facile et au sentimentalisme appuyé. La réalité est à nuancer, comme nous l’avons précisé lorsque nous avons présenté ici même, le 3 mars 2020, la version investie de Vasily Petrenko à la tête de l’Orchestre Philharmonique d’Oslo parue chez Lawo. La partition de Richard Strauss n’est peut-être pas la plus subtile de celles qu’il a composées, mais son impact physique et émotionnel est considérable, en particulier en salle de concert (un peu comme Les Planètes de Gustav Holst, écrites un an plus tard). On ne peut nier la beauté plastique des images liées au départ dans la nuit, au lever du soleil, aux chants d’oiseaux et à la découverte des prairies, aux échos de cascades, à l’orage violent dont la fureur se répercute sur les sommets montagneux, avant cette sérénité qui s’installe au bout du parcours, quand le soleil se couche. Il s’agit d’une œuvre qui requiert l’art de tirer de son contenu « la substantifique moelle » pour ne pas la transformer en un banal album de cartes postales à feuilleter avec nonchalance ou distraction.

Par le passé, quelques chefs d’orchestre l’ont bien compris et ont souligné la puissance évocatrice, mais aussi poétique, de cet hommage aux Alpes, à commencer par Richard Strauss lui-même, en 1941, référence fondamentale, avant, sans ordre de préséance, Herbert von Karajan, Rudolf Kempe, Georg Solti, Bernard Haitink ou Giuseppe Sinopoli (un concert en DVD), et, parmi de plus récents, Mariss Jansons, Daniel Harding ou Vasily Petrenko, cité plus avant, convaincant grâce à un geste impérieux, net et précis. Qu’en est-il de la présente version, enregistrée en public lors des concerts des 22 et 24 février 2019 donnés au Konzerthaus de Berlin par le Rundfunk-Sinfonieorchester local, avec à sa tête Vladimir Jurowski, son directeur musical depuis 2017 dont le mandat a récemment été prolongé jusqu’en 2027 ? 

Né à Moscou en 1972 au sein d’un milieu très musical (le père, Mikhail, et le frère cadet, Dmitri, sont chefs d’orchestre, et la sœur, Maria, pianiste), Vladimir Jurowski étudie au Conservatoire de Moscou et est pour un temps assistant de Gennadi Rozhdestvensky. La famille s’installe en Allemagne en 1990, le jeune Vladimir poursuit ses études à Dresde sous la férule de Colin Davis, puis à Berlin. Sa carrière commence tôt ; il sera directeur musical de plusieurs formations : le Philharmonique de Londres ou l’Orchestre Symphonique d’Etat de Russie Evgeny Svetlanov, mais aussi du Festival de Glyndebourne entre 2001 et 2013. Sans oublier de nombreuses prestations dans des maisons d’opéras prestigieuses, comme le Metropolitan ou l’Opéra de Paris. En 2020, Vladimir Jurowski est nommé en plus directeur musical du Bayerisches Staatsorchester. Il est à la tête d’une imposante discographie chez Pentatone, où se côtoient, pour ne citer qu’eux, Mahler, Britten ou Chostakovitch. 

Par Jurowski a déjà été publiée, sous le label du London Philharmonic Orchestra, une Alpensinfonie. Captée en 2012, en public elle aussi, elle est couplée à des extraits symphoniques de Die Frau ohne Schatten et de la Danse des sept voiles de Salomé. Sortie en 2018, cette première mouture ne nous a pas vraiment transporté en raison d’une approche trop neutre, d’un sentiment d’approche au premier degré, d’un lever de soleil plutôt timide, de paysages édulcorés, d’un Auf dem Gipfel (Au sommet) trop peu ouvert sur l’espace, d’un orage sans folie et d’un retour à la sérénité qui manquait de profondeur apaisée. La beauté de l’orchestre rachetait à peine une version somme toute trop peu engagée, tant dans la démesure que dans l’élan poétique.

Avec le RSO Berlin, on éprouve le même genre de sensations, avec en plus l’impression de ne pas pouvoir s’extasier lors des moments les plus lyriques, comme si le voyageur en route vers les hauteurs n’entrait pas en complicité avec ce qui l’entoure. Toute la partie si descriptive, si sensible, de la découverte de la nature apparaît affadie, pour ne pas dire édulcorée. C’est peut-être un effet de la prise de son qui n’est pas des plus avantageuses, avec des baisses de tension, mais aucune aura mystérieuse ne se dégage de l’ensemble. Il faut attendre l’accès à Auf dem Gipfel -mais on a patienté vingt minutes avant cela- pour, à l’inverse de la version avec Londres, découvrir un horizon ouvert et majestueux, dont la magie soudaine et réussie ne va pas se prolonger longtemps, en tout cas pas dans la séquence orageuse dont les éclairs et le tonnerre n’impressionnent pas. Le plus douloureux sans doute pour l’auditeur, c’est l’impression de ne pas pouvoir communier à une vision parce que celle-ci manque d’élévation. Il n’est pas impossible qu’en salle, ce concert ait donné malgré tout quelques frissons à l’état brut à l’assistance, car le travail des instrumentistes, en particulier des cuivres, est soigné. Mais tout concert mérite-t-il de passer à la postérité par le simple fait de son existence ? La réponse est dans la question. On déplorera par ailleurs la brièveté du programme ; moins de 50 minutes à l’heure actuelle, c’est vraiment court.

Son : 7,5  Notice : 8  Répertoire : 9  Interprétation : 6

Jean Lacroix  

 

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