Le San Giovanni Battista de Stradella par Damien Guillon et le Banquet Céleste

par

Alessandro STRADELLA (1643-1682) : San Giovanni Battista, oratorio en deux parties. Paul-Antoine Benos-Djian, contreténor ; Alicia Amo, soprano ; Olivier Dejean, basse ; Gaia Petrone, mezzo-soprano ; Artavazd Sargsyan et Thibaut Givaja, ténors ; Le Banquet Céleste, direction Damien Guillon. 2020. Livret en français et en anglais. Texte en langue originale, traduction en français et en anglais. 80.42. Alpha 579.

Alessandro Stradella, qui mena une vie aventureuse (liaisons amoureuses interdites, tentative de détournement de fonds de l’Eglise catholique…) et fut assassiné par un tueur à gages à Gênes, à l’aube de ses cinquante ans, avait entamé ses études à Bologne et se retrouva à Rome dès avant ses trente ans. Il a composé musique instrumentale, opéras, sinfonias, motets, cantates, madrigaux, arias et oratorios. Son existence dissolue l’obligea à fuir Rome à deux reprises, il se rendit à Venise, à Turin et enfin à Gênes où son aventure avec une femme mariée allait le rattraper et entraîner sa perte. Il faut lire le beau roman Stradella que Philippe Beaussant lui a consacré en 1999 chez Gallimard, disponible en collection de poche (Folio, 3548). Le personnage a fait aussi l’objet d’un opéra de Friedrich von Flotow en 1844. 

Parmi les oratorios qu’il a composés, son San Giovanni Battista de 1675, le plus célèbre, peut être considéré comme un trait d’union entre Carissimi et Haendel. Comme dans les autres partitions du genre à son actif, les airs souples et les récitatifs se succèdent, avec une grande force expressive. Le sujet, sur un livret du poète Ansaldo Ansaldi (1651-1719), est tiré d’un épisode du Nouveau Testament : Jean-Baptiste décide de se rendre à la Cour d’Hérode pour lui reprocher sa liaison avec sa belle-sœur Hérodiade. Hérode est séduit par la fille de cette dernière, Salomé, qui réclame l’exécution du Baptiste. Sujet connu, qui en a tenté d’autres… Stradella en a tiré une partition riche sur le plan musical et dramatique. La notice précise que le compositeur « y consolide le dispositif du concerto grosso, une forme de concert qui fait dialoguer deux ensembles, le concertino, constitué d’instruments solistes, et le ripieno, le reste de l’orchestre. La particularité de cet effectif consiste dans le fait d’obtenir des effets de contrastes de volumes sonores différents, notamment des effets d’échos et de dynamiques. »

Dans le cas présent, l’enregistrement, dont la qualité de la prise de son est à saluer, a été réalisé à l’Abbaye royale de Fontevraud en mai 2019, après une série de représentations, ce qui a permis aux équipes vocale et instrumentale de parachever et de peaufiner leur interprétation qui apparaît dès lors comme une évidence. L’œuvre ne cesse de monter en puissance, la deuxième partie de l’oratorio qui va voir les protagonistes s’affronter dans un cruel scénario avant la tragédie, s’amplifiant dans des récitatifs dont l’expressivité apparaît de plus en plus exigeante et complexe, dans le contexte d’une écriture inspirée et démonstrative. 

Le plateau des solistes du chant est brillant, et l’on peut parler ici d’incarnation. Le rôle de Hérode est tenu par la basse Olivier Dejean, que l’on sent aussi bien dominé par l’exacerbation de son désir pour Salomé que confronté à l’irrémédiable puis au remords. Cela se traduit en vocalises vertigineuses, notamment dans l’air Tuonera fra mille turbini (n° 16), où Hérode exprime sa fureur contre le Baptiste en le faisant jeter en prison. Le personnage de Salomé (ici dénommée Hérodiade la fille), apparaît d’une rare perversité, allant, dans un crescendo de folie sanguinaire, du faux air gracieux Vaghe ninfe (n° 24) qui ouvre la seconde partie de l’oratorio, jusqu’à sa joie démentielle après avoir obtenu ce qu’elle voulait (Su, coronatemi n° 40). La soprano Alicia Amo y dévoile (sans jeu de mots, car il n’y a pas ici de « danse » provocante) un délire charnel dans une prestation exacerbée. Sa voix est révélatrice de cet être déviant prêt à assouvir tous ses fantasmes. Cette confrontation au bout de laquelle Hérode ne peut être que perdant est contrebalancée par un Jean-Baptiste sobre et déterminé dans la solennité de sa dénonciation de la luxure et du péché ainsi que dans l’affirmation de sa résignation (Se pegno gradito n° 19). Le contreténor Paul-Antoine Benos-Djian, dont le timbre est tout en dignité et en profondeur, est fascinant. Peut-on imaginer plateau plus idéal, car la mezzo Gaia Petrone en Hérodiade la mère, à l’attitude ambigüe, et les deux ténors Artavazd Sargsyan et Thibault Givaja, en conseiller et en disciple, complètent l’ensemble avec une remarquable justesse. A ces six solistes, vient s’ajouter un Banquet Céleste en état de grâce, mené avec un sens de l’esthétique parfaitement dosée par Damien Guillon, qui vient ainsi placer cette gravure tout en haut d’une discographie dont il partage désormais avec Minkowski l’échelon le plus élevé.

Son : 10  Livret : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix       

 

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