Yoav Levanon domine les flamboyances lisztiennes

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Franz Liszt (1811-1886) : Concertos pour piano et orchestre n° 1 en mi bémol et n° 2 en la ; Totentanz. Yoav Levanon, piano ; Orchestre symphonique de Lucerne, direction Michael Sanderling. 2024. Notice en anglais, en français et en allemand. 56’ 08’’. Warner 5021732423979.

J’ai cherché à saisir l’essence du génie de Liszt : les débuts d’un esprit brillant, l’exploration des paysages sonores émotionnels, l’interaction entre le démoniaque et le divin, et la contemplation ultime de la mort. Ainsi s’exprime Yoav Levanon dans un texte de moins de vingt lignes qui sert de notice au présent album, son troisième pour Warner après un récital (« A Monument for Beethoven ») où l’on trouvait, en 2022, Liszt déjà (la Sonate), Chopin, Mendelssohn et Schumann, et un autre consacré aux Études-Tableaux de Rachmaninov (2023). Ce jeune pianiste israélien, qui aura 21 ans le 3 mars 2025, a été un enfant prodige. Dès ses trois ans, il jouait en public. Il remportait, l’année suivante, le Concours National de Piano d’Israël, se produisait au Carnegie Hall à six ans et était confronté à un orchestre quelques mois plus tard ! Depuis, ce protégé de Daniel Barenboim a remporté maints prix et compétitions, et n'a cessé d’enchaîner les concerts internationaux, accompagnés par une presse élogieuse.

Les concertos de Liszt, tous deux commencés (esquissé pour le second) à Rome en 1839, sont des splendeurs du répertoire concertant. La création du premier a lieu dix ans plus tard à Weimar, où le virtuose vient de s’installer, Berlioz dirigeant Liszt, au clavier. Le suivant connaîtra sa première publique en 1857, au théâtre de la cour de la même cité thuringienne. Cette fois, Liszt tiendra la baguette et un de ses élèves, le Berlinois Hans von Bronsart (1830-1913), dédicataire lors de la publication, sera le soliste. Ces pages, jouées d’un seul tenant, sont trompeuses, car leur éloquence peut entraîner un risque d’emphase et un excès de fantaisie. Levanon évite ces pièges avec une maturité déjà établie.

Dans le Premier, il détaille les contrastes et les rythmes avec un sens de l’équilibre et une sonorité radieuse qui, au-delà d’une technique affirmée, laisse le bon goût se développer. La pureté et la vitalité, deux qualités fondamentales, servent un jeu délié et souple qui emporte l’adhésion. Dans le Second, une noble liberté se fait tout de suite jour dans la mélodie, superbement distillée, avec des accents tempérés qui laissent le lyrisme toujours au premier plan. L’univers lisztien apparaît comme familier à ce jeune artiste, qui ne cherche jamais à tirer la partition à lui pour en faire une démonstration gratuite. C’est contrôlé et bâti, avec l’émotion, elle aussi lyrique, dont Levanon se revendique dans sa note initiale ; la bravoure est présente lorsqu’elle est nécessaire, notamment dans le brillant final. Ces deux excellentes versions modernes, qui confirment un talent de premier ordre, sont accompagnées, dans le même esprit, par l’Orchestre symphonique de Lucerne (superbe réplique du violoncelle solo dans le Deuxième), que dirige, de façon très attentive et très fine, l’Allemand Michael Sanderling (°1967), son chef depuis 2021. 

Dans le parcours de Liszt, les mêmes périodes temporelles valent pour La Totentanz, paraphrase sur le « Dies irae », esquissée dans les débuts de la décennie 1840, achevée en 1849 et révisée en 1865. Difficile sur les plans technique et stylistique, spectaculaire à souhait, cette partition à effets crée de fortes sensations chez l’auditeur en raison des changements d’atmosphère, fantastiques ou percussifs, qui émaillent le discours. Levanon saisit cette tension dramatique avec beaucoup d’investissement, tout en lui conférant une part de mystère, propice à l’avancée vers l’explosion finale, maîtrisée. Comme dans les concertos, l’ensemble suisse et son chef sont des partenaires qui mettent en valeur une conception intensément réfléchie, dont la hauteur de vue est évidente. 

Cette Totentanz conclut un album enthousiasmant qui confirme la maturité du jeune pianiste israélien, dont on suivra la carrière avec la plus grande attention. 

Son : 9  Notice : 6  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix   

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