Edgard Moreau rend un bel hommage au répertoire slave du violoncelle

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Rococo. Piotr Illitch Tchaïkovski (1840-1893) : Variations sur un thème rococo, pour violoncelle et orchestre op. 33. Frédéric Chopin (1810-1849) : Sonate pour violoncelle et piano en sol mineur op. 65 ; Nocturne en do mineur. Antonin Dvořák (1841-1904) : Humoresque n° 7 op. 101/7 ; Chant bohémien n° 4 « Chanson que ma mère m’a apprise » op. 55/4. Serge Rachmaninov (1873-1943) : Mélodie op. 21/9 ; Vocalise op. 34/14 pour violoncelle et orchestre. Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Suite n° 2 pour orchestre de jazz : Valse n° 2. Edgar Moreau, violoncelle ; David Kadouch, piano ; Orchestre Symphonique de Lucerne, direction Michael Sanderling. 2024. Notice en anglais, en français et en allemand. 76’ 49’’. Erato 5021732430625. 

Enregistré du 17 au 21 avril 2024, le présent album, hommage au répertoire slave, peut aussi être considéré comme la célébration des trente ans du Parisien Edgard Moreau, dont l’anniversaire a eu lieu deux semaines auparavant, le 3 avril. Avec des partenaires habituels, dont témoignent des gravures pour Erato : sonates françaises en 2019 avec David Kadouch, pages concertantes, sous le titre « Transmission », avec le Symphonique de Lucerne dirigé par Michael Sanderling, en 2022. La Suisse est un agréable souvenir pour le violoncelliste, qui a reçu en 2015 un prix dans cette cité helvétique. Ces divers complices se retrouvent au sein d’un même projet, « Rococo », clin d’œil au prix que remporta Moreau en finale du Concours Tchaïkovski en 2011, où il interpréta les Variations rococo qui ouvrent le présent programme. Cet élève de Philippe Muller pour le violoncelle et de Claire Désert pour la musique de chambre au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, après avoir aussi appris le piano, s’est vite fait un nom pour ses qualités techniques et ses capacités expressives. Une démonstration en est faite dans cet hommage éclectique.

Les Variations rococo que Tchaïkowsky compose en 1877 se présentent comme une partition de haute virtuosité. Elle est élaborée à partir d’un thème aux allures de gavotte d’élégance mozartienne, comme le précise Werner Pfister dans sa présentation, suivi de sept variations dont le caractère alterne entre noble retenue et sensualité débordante, entre cantilène mélodieuse et grands gestes dramatiques. Edgar Moreau se glisse avec aisance dans cet univers qui rappelle aussi le monde galant du XVIIIe siècle ; il en souligne les aspects radieux comme l’inspiration pensive, les accents lyriques comme les côtés acrobatiques. Une version investie et prenante, qui sait chanter avec une générosité simple et claire, servie avec goût par l’Orchestre de Lucerne et son directeur musical.

Le violoncelliste collabore régulièrement avec le pianiste niçois David Kadouch (°1985). Leur entente, que l’on a pu apprécier dans Franck ou Poulenc, Rita Strohl ou de la Tombelle (Erato, 2019), se prolonge dans la Sonate de Chopin, achevée en 1846. Cette partition, dédiée à l’ami Auguste-Joseph Franchomme (1808-1884), qui la créa à Paris lors du dernier concert public du Polonais, est gorgée de lyrisme et d’échanges combinatoires très réussis dès l’Allegro initial aux motifs abondants, avant un Scherzo décidé, puis un court Largo aux couleurs rêveuses, avant de se conclure par un Allegro débordant de vitalité. La présente version, nourrie d’introspection naturelle et de profondeur, confère à cette partition un peu singulière dans la production de Chopin, une séduisante aura. La complicité des deux partenaires rend sensible une élégance romantique de bon aloi.

Une série de petites pages complètent ces deux œuvres conséquentes. On savourera, toujours avec Kadouch, les transcriptions du duo pour un poétique Nocturne de Chopin, une extatique Mélodie de Rachmaninov ou une dynamique Valse de Chostakovitch. Sont joints des arrangements de Kreisler pour une gracieuse Humoresque de Dvořák, ou de Grünfeld pour une touchante mélodie du même. Dans la Vocalise de Rachmaninov, prévue initialement pour une voix de soprano, puis arrangée par le compositeur lui-même, Edgar Moreau retrouve la phalange de Lucerne et son chef Michael Sanderling pour une petite dizaine de minutes d’une éloquente et poignante émotion. 

Ce très bel album confirme le talent et la virtuosité d’un artiste à la jeune maturité lumineuse, qui sert le répertoire slave sélectionné avec un équilibre où dominent la retenue et l’élégance du style. 

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

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