York Bowen et William Walton : quand l’alto anglais s’enflamme

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York Bowen (1884-1961) : Concerto pour alto et orchestre en do mineur op. 25. Sir William Walton (1902-1983) : Concerto pour alto et orchestre en la mineur. Diyang Mei, alto ; Deutsche Radio Philharmonie, direction Brett Dean. 2024. Notice en allemand et en anglais. 64’ 16’’. SWR 19158.

Celui que l’on nommait le « Rachmaninov anglais » n’a pas connu la vraie reconnaissance de sa production, pourtant abondante en tant que compositeur. York Bowen n’est pas cité dans l’Histoire de la musique anglaise de Gérard Gefen (Fayard, 1992), et n’a droit qu’à quelques maigres lignes dans le Dictionnaire biographique des musiciens établi par Baker et Slonimsky (Bouquins/Laffont, 1995). Né à Londres, où il entra à la Royal Academy of Music dès ses 14 ans, après des leçons que lui donna sa mère et déjà des apparitions publiques au piano, il se perfectionna dans l’instrument, et étudia aussi l’orgue, l’alto et le cor. Son Concerto pour piano n° 1, joué aux Proms en 1903, reçut les compliments de Saint-Saëns lui-même. Devenu enseignant à la Royal Academy (il y exercera pendant cinquante ans), il dirigea des orchestres et donna des récitals qui connurent un grand succès, d’où le surnom qu’on lui attribua. Son répertoire était consacré aux compositeurs anglais, mais aussi à Glazounov, Tchaïkovski ou Chopin. Il fut le premier à graver sur disque le Concerto pour piano n° 4 de Beethoven. Recherché comme chambriste, il travailla notamment avec Joseph Szigeti ou Efrem Zimbalist. Mais son travail de compositeur ne recueillit qu’un succès mitigé, avant d’être oublié après son décès. Il laisse pourtant un copieux catalogue où voisinent trois symphonies, des concertos pour plusieurs instruments, des pages orchestrales, de nombreuses pièces pour piano, sans oublier une méthode pour le clavier. Le romantisme, auquel Bowen demeura attaché avec une absolue fidélité, est peut-être la raison de son effacement, que des labels comme Hyperion, Lyrita ou Grand Piano ont quelque peu atténué en proposant quelques gravures qui témoignent d’un art accessible et séduisant, nourri de beaux élans. 

C’est à l’intention de l’altiste britannique Lionel Tertis (1876-1975) que Bowen composa en 1907 son Concerto pour alto et orchestre. Ce virtuose internationalement reconnu, qui donna des lettres de noblesse à son instrument dont il jouait avec flamme, créa l’œuvre à Londres l’année suivante, avant de la faire connaître jusqu’aux États-Unis. C’est une partition en trois mouvements aux couleurs vives et contrastées, qui mettent en valeur les qualités de l’alto, au sein d’une orchestration romantique. Des élans vifs parcourent un Allegro assai généreux, aux accents lyriques et sentimentaux, avant un Andante cantabile qui fait chanter l’instrument dans un contexte où l’expressivité est à fleur de peau. L’Allegro scherzando final, vif, alerte et pétillant, conclut un concerto dont l’écoute se révèle attachante, car le compositeur manie les mélodies avec un goût très sûr. Pour le virtuose que fut Lionel Tertis, on imagine sa satisfaction de pouvoir transmettre son savoir-faire et de briller. 

Ce sont ces mêmes qualités que le soliste du présent album, Diyang Mei, né en Chine en 1994, insuffle à son interprétation. Altiste principal de la Philharmonie de Berlin, après avoir occupé le même poste à Munich, cet artiste joue sur un chaleureux Antonio Mariani fabriqué à Pesaro au milieu du XVIIe siècle. Il se révèle intense pour parler au cœur dans ses dialogues avec l’Orchestre Philharmonique de la Radio allemande, dirigé par le chef australien Brett Dean (°1961), lui aussi altiste, présent à la Philharmonie de Berlin pendant près de quinze ans à la fin du siècle dernier. L’osmose fonctionne à plein régime dans une œuvre qui mériterait d’être plus souvent à l’affiche de concerts. On n’oubliera pas la version signée par Lawrence Power avec le BBC Scottish Orchestra dirigé par Martyn Brabbins (Hyperion, 2014), même si nous accordons la préférence à celle d’aujourd’hui pour son investissement.

On retrouve l’incontournable Lionel Tertis dans la genèse du Concerto pour alto de Sir William Walton, que celui-ci composa à la suggestion de Sir Thomas Beecham. Mais l’univers de Walton est très différent de celui de Bowen, et Tertis, bercé de classicisme, considéra l’œuvre comme trop moderne, et céda la place à Paul Hindemith pour la création aux Proms le 3 octobre 1929. Bien que considéré alors comme étant à l’avant-garde de la musique en Angleterre, Walton a pourtant écrit une partition personnalisée, d’un charme et d’une fougue incontestables, qui cède peu aux tendances nouvelles. Le soliste brille au milieu d’une orchestration riche, au sein de laquelle les cuivres tiennent une belle place. À la fois dramatique et passionné dans l’Andante comodo initial, d’une élégance ailée dans le bref Vivo qui le suit, Walton donne libre cours à sa capacité de chant, entre grâce et brio, dans l’Allegro moderato conclusif, qui s’achève dans une ambiance de mystère. Diyang Mei est tout aussi convaincant dans cette partition aux accents enflammés, soutenu par un orchestre attentif aux nuances instrumentales les plus subtiles. Voici un album, gravé à Kaiserslautern, qui propose deux approches fascinantes de l’alto pour former un superbe album de musique anglaise.

Son : 9  Notice : 8  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix

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