Œuvres pour violon solo de Johnan Helmich Roman interprétées par Sue-Ying Koang : Une découverte enthousiasmante !

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Johnan Helmich Roman (1694-1755) : Œuvres pour violon solo : Övning en ut mineur BeRI 339 Övning en mi bémol majeur BeRI 332 - Övning en fa majeur BeRI 348 – Assaggio en mi mineur BeRI 312 - Övning en la majeur BeRI 337 – G.B. Pergolesi : Stabat Mater (Amen) transcription de J.H. Roman - Assaggio en fa dièse mineur BeRI 313 - Assaggio en la majeur BeRI 317 - Övning en mi mineur BeRI 347 -  Övning en sol mineur BeRI 336 - G.B. Pergolesi : Stabat Mater (fac ut ardeat cor meum (transcription de J.H. Roman).  Sue-Ying Koang, violon. 2023. Livret en français et en anglais.  67’29. Indesens Calliope IC038.

Considéré comme le père de la musique suédoise, Johan Helmich Roman est un compositeur baroque de premier plan qui n’a pas joui la même reconnaissance que certains de ses contemporains tels Jean-Sébastien Bach, Georg Friedrich Händel ou Antonio Vivaldi. 

Il évolue dans cette Europe du dix-huitième siècle foisonnante où l’on assiste à un brassage culturel et artistique à la fois très riche et permanent. Les échanges entre les pays européens sont intenses et nombre d’œuvres musicales de cette époque en témoignent (Suites Anglaises et Françaises de Bach, Sonates de Scarlatti pour clavecin jamais très éloignées des racines ibériques, Quatuors Parisiens de Telemann etc…). 

Johnan Helmich Roman, né à Stockholm en 1694 n’échappera pas à la règle et fera dès 1712 plusieurs voyages hors de Suède. Dès 1712, un décret royal l’autorisera à partir à l’étranger pour parfaire sa formation musicale. Il ira tout d’abord en Angleterre (où il séjournera de 1715 à 1721). A l’occasion de ses voyages il côtoiera les plus grands compositeurs baroques de son temps et bénéficiera de leurs conseils comme Händel, Geminiani, Pepusch ou Bononcini. 

Revenu en Suède en 1721, il prendra des fonctions de plus en plus importantes au sein de la Chapelle Royale de Suède. Débutant en qualité de violoniste et de hautboïste dans l’orchestre, il en deviendra le Maître de Chapelle en 1727 et finira par être nommé Surintendant de la Cour (hovintendant) en 1745 étant alors parfois obligé d’abandonner momentanément la composition au profit de la gestion de l’institution.

Il composera dès 1725 des ouvrages d’envergure, que ce soient des commandes pour les cérémonies officielles touchant la famille royale de Suède (mariages, couronnements ou musiques funèbres) comme les « Drottningholmmusiken » composées pour le mariage en 1743 du roi de Suède Adolf Frederick de Holstein-Gottorp avec la Princesse Lovisa Ulrika de Prusse (la propre sœur de Frederic II), ou pour d’autres commanditaires prestigieux comme les Golovinmusiken commandées en vue du couronnement du Tsar Pierre II en 1728. 

Entre 1735 et 1737, Roman fait de nouveau un long voyage le menant à Londres mais aussi à Paris, en Italie (Venise, Naples Rome) et aussi dans les pays germaniques (Dresde où il est probable qu’il ait rencontré Johann Georg Pisendel, violoniste incomparable et ami de Vivaldi).

Tout comme Beethoven, Smetana ou Fauré, Roman souffrira de surdité ce qui l’obligera à réduire progressivement ses activités dès le début des années 1740.il passera les dernières années de sa vie à écrire des ouvrages de théorie musicale et à traduire en suédois de nombreux textes liturgiques.

La postérité retiendra surtout de lui son action militante pour faire entrer la langue suédoise dans la liturgie de son pays. 

Le mérite du présent enregistrement ne s’arrête pas au simple fait d’entendre les œuvres d’un compositeur injustement négligé mais il nous permet surtout de découvrir en première mondiale des œuvres du plus haut intérêt tant au niveau musical (où le génie du compositeur s’exprime de façon éclatante) qu’au niveau purement violonistique, le répertoire des œuvres pour le violon solo de cette qualité se comptent sur les doigts d’une seule main (6 Sonates et Partitas de Jean-Sébastien Bach – 12 Fantaisies de Telemann - 25 Caprices de Locatelli tirés de « l’Arte del Violino » – 24 Caprices de Paganini – 6 Sonates d’Ysaÿe). L’enregistrement de Sue-Ying Koang n’est qu’un « échantillon » de l’œuvre pour violon seul de Roman qui comporte en tout une quarantaine de pièces (une vingtaine d’Assaggi et une vingtaine d’övningar).

Dans ces œuvres d’une grande variété mélodique et rythmique, Roman marie avec bonheur une inspiration toujours renouvelée à la rigueur d’une écriture savante souvent contrapuntique. Outre la transcription pour violon solo fort habile de deux duos extraits du Stabat Mater de Pergolèse (« Fac, ut ardeat cor meum » et « Amen »), les œuvres figurant sur l’enregistrement de Sue-Ying Koang se scindent en deux catégories distinctes : Les Övningar (exercices ou études) qui se présentent en un unique mouvement et les Assaggi (essais ou expérimentations) comportant en principe quatre mouvements. Toutes ces œuvres font preuve d’une technique violonistique redoutable alliant fantaisie et rigueur. Dans la plaquette très instructive écrite par Sue-Ying Koang, celle-ci montre la partition du troisième mouvement de l’Assaggio en mi mineur BeRI 312 (dans la numérotation d’Ingmar Bengtsson) qui débute par un accord de six notes (dans ces pièces certains accords peuvent aller jusqu’à neuf notes) qui ne peut être joué qu’en arpèges, le violon ne disposant que de quatre cordes ! Cela montre l’extrême virtuosité de l’ouvrage même si celle-ci n’est pas seulement démonstrative et ce n'est pas un hasard si le jeune musicien est entré à seulement dix-sept ans dans l’orchestre de la Cour Royale de Suède au Château de Drottningholm, le Versailles suédois.

Roman ne s’est pas contenté d’écrire pour le violon, son instrument favori car la majeure partie de son œuvre reste encore à découvrir. Comme celles de Bach, Telemann, Vivaldi ou Händel elle est pléthorique et comporte plus de quatre cents œuvres en musique de chambre, œuvres orchestrales (dont 23 symphonies), œuvres pour clavecin, œuvres instrumentales pour de multiples instruments dont la flûte et le hautbois, œuvres vocales dont une partie liturgique en suédois. Anne Sofie von Otter, accompagnée par le Drottningholm Baroque Ensemble avait gravé en 1990 chez Proprius le superbe aria « O Herre Gud Guds Lamb », extrait de la messe suédoise.

Sue-Ying Koang diplômée du CNSMD de Lyon, de la Musikhochschule de Berlin et de la Longy School of Music de Cambridge a été soliste de 2004 à 2011 à l’Orchestre Philharmonique de Liège. Elle a aussi enseigné au Conservatoire Royal de Musique de Liège. Grande spécialiste du violon à la période baroque, elle collabore fréquemment avec de prestigieux ensembles (La Fenice, Les Arts Florissants, Pygmalion etc…). 

Séduite par cette musique peu fréquentée Sue-Ying Koang a tenu à nous la faire découvrir et la défend avec une grande conviction. En outre, ce disque viendra compléter idéalement (et sans doublons) l’enregistrement effectué voici trente ans par Jaap Schroeder chez Caprice records.

L’interprétation de Sue-Ying Koang est somptueuse, à la fois libre et extrêmement séduisante grâce à une virtuosité dominée et à une fantaisie sans cesse renouvelée. La prise de son très proche bien que directe est un peu trop réverbérée à mon goût mais elle présente l’avantage de mettre en valeur la richesse sonore de ce magnifique violon moderne (de 2020, fabriqué par Lu-Mi Wang Zhiming et Luc Breton) aux harmonies colorées et charnues. Ce disque est une véritable réussite.

Notes : Son : 9 Livret : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 10

Jean-Noël Régnier  

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