11 accords pour 18 musiciens (enfin, 19) au Walden Festival

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Music for 18 Musicians jaillit du programme (diversifié comme la ville qui l’accueille et plus teinté jazz cette année) de la quatrième édition du Walden Festival, « klassiek sur l’herbe », au Parc Léopold de Bruxelles (et ses lieux alentours : la bibliothèque Solvay, l’Espace Senghor, le lycée Émile Jacqmain…), joliment éclairé des rayons d’un soleil qui roule des mécaniques pour évacuer les nuages lourds de la veille : en habitué de la pièce, Ictus est à la manœuvre, sous la direction artistique de Tom De Cock et Gerrit Nulens et acoquiné cette fois avec des musiciens du Brussels Philharmonic et des voix du Vlaams Radiokoor.

Achevée en mars 1976 pour un instrumentarium alors innovant dans l’œuvre de Steve Reich (violon, violoncelle, deux clarinettes / clarinettes basses, quatre voix féminines, quatre pianos, trois marimbas, deux xylophones et un métallophone), le morceau s’enroule autour de deux rythmes simultanés – la pulsation régulière (c’est la marque de fabrique du compositeur minimaliste américain) des pianos et des percussions, et la respiration humaine, propulsée par les voix et les vents – et se structure sur un cycle de onze accords, joués au début et à la fin et distendus chacun au sein d’une petite section de cinq minutes pour en former la mélodie pulsée – à la manière d’un organum de Pérotin le Grand, compositeur français du 12ème siècle et père fondateur de la musique polyphonique occidentale.

L’autre source marquante d’inspiration pour Reich, qui déborde d’ailleurs du cadre de Music for 18 Musicians, est le gamelan balinais : le métallophone, qui ne joue qu’une fois ses motifs, déclenche le mouvement vers la mesure suivante ; il indique le changement par un signal audible qui, en même temps, prend part à la musique.

Jouée partout dans le monde (je l’ai vue pour la première fois aux mains de l’Ensemble Modern et de Steve Reich, alors âgé de 74 ans, à la Cité de la Musique de Paris), enregistrée sur disque par de multiples interprètes, l’œuvre est devenue un tube de la musique répétitive – un courant né lors de la création en 1964, à laquelle Reich participe, de In C, l’étrange partition (une page, un nombre indéfini de musiciens) de Terry Riley.

Et ici aussi, sous le chapiteau où s’assemble un public bigarré, familial, amateur ou curieux, d’âge varié, assis sur de longs bancs blancs devant une scène un peu trop surélevée, le mystère – au sens presque religieux – s’installe : des yeux se ferment, des têtes dodelinent, des épaules roulent, des thorax oscillent ; le claquement du maillet, le souffle, la pulsation, la musique s’insinue, envoûte, comme pour une hypnose collective, florissante, radieuse – parfois la voix chuchotée d’un spectateur émerge d’un brouillard hypnagogique, comme dans la tiédeur comateuse d’une grippe fiévreuse (suffisamment forte pour rater l’école, suffisamment faible pour profiter du congé impromptu), mais toujours le rêve se prolonge et le flux sonore déroule son tapis infini, toujours le même, jamais le même.

Une ouverture de festival en forme de franc succès : le public est debout et rappelle plusieurs fois des musiciens presque surpris.

Parc Léopold, Bruxelles, le 13 juillet 2024

Bernard Vincken

Crédits photographiques : DR

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