La Traviata à l’Opéra du Grand Avignon
Pour ouvrir sa nouvelle saison, l’Opéra du Grand Avignon reprend pour trois dates seulement la Traviata de Verdi de l’opéra de Limoges sous la direction de Federico Santi et la mise en scène de Chloé Lecha. Seul opéra de Verdi traitant l’époque de sa composition, sa contemporanéité semble être ce qui interessa la metteuse en scène. Elle choisit ainsi de transposer l’œuvre dans l’univers de la jetset de notre fin de vingtième siècle, grâce au très beau décor d’Emmanuelle Favre repris par Anaïs Favre. L’appartement de Violetta, agrémenté d’un bassin et de meubles en plastique, ouvre ici sur une ville en contrebas. Les costumes de Arianna Fantin semblent aussi tous sortis de défilés de mode récents. Autant les décors que les costumes suivent fort intelligemment l’évolution de la maladie de Violetta en devenant d’abord pâles au deuxieme avant de finir en noir et blanc au dernier acte.
Si cette idée, comme plusieurs autres, est visuellement fort intéressante, l’orientation de la mise en scène ne cesse d’interroger. Ainsi elle met constamment en parallèle par des petites scènes avant les actes, interrompant ainsi le fil narratif et musical, par d’autres en fond durant les actes et enfin, par des liens entre les personnages, le destin de la soeur d Alfredo avec celui de Violetta indiquant ainsi que le mariage est une forme socialement plus acceptable de la prostitution. Si effectivement un des moteurs de l’opéra est bien le mariage de Madame Germont fille et la bonne réputation de la famille Germont, ce personnage n’est que mentionné par Giorgio Germont durant sa rencontre avec Violetta. Rien ne dit que son mariage doit être de facto malheureux. Cette surimpression du mariage comme une forme avancée de la prostitution dans l’opéra est pour le moins osée. Tous les mariages n’étant pas forcément imposés et pourquoi celui-ci le serait-il plutôt qu’un autre.
Nonobstant, certaines idées de la mise en scène sont intéressantes. Comme de placer le deuxième acte dans un sanatorium, pour rappeler qu’à côté du mariage de Madame Germont fille, la santé de Violetta est un autre moteur de l’opéra, et que le dernier lit de Violetta ait la forme d’une tombe. Le dernier acte juxtapose ainsi la somme des bonnes et des moins bonnes idées de la mise en scène. Le spectateur voit ainsi le Baron Douphol fumant sur le lit de Violetta et le mariage de Madame Germont fille en fond de scène sur une musique de marche funèbre.
Outre le délicat propos et son a propos du parallèlisme entre la prostitution et le mariage, la chronologie du drame est diffile à cause des scènes ajoutées. Quand tout ceci a-t-il lieu? Avant la fin de Violetta? Ou durant son agonie ? Il semble même que la metteuse en scène en oublie parfois le libretto. Ainsi, durant le dernier acte, les anciennes amies de Violetta viennent lui prendre ses chaussures, alors qu’elle est sensée ne posséder que vingt louis.
Fort heureusement, la distribution est très appréciable. Et surtout Jonas Hacker en Alfredo Germont qui enchante le public. A la fois frais, franc et fort dans son chant, il donnait un jeune homme apprenant la réalité et surtout la réalité pécuniaire, avec laquelle tout un chacun doit composer pour vivre. On retiendra de lui, entre autres, sa grande aria du second acte dans laquelle il sait ne pas imposer sa force sans baisser de tension. On apprécie de même Julia Muzychenko en Violetta Valéry, qui suspend ses aigus comme des kyrielles de papillons, et incarne une Violetta se sacrifiant nolens volens pour son amour. Leur union fonctionne à merveille. Sonnant juste et en accord, aucun des deux ne tire la couverture à soi. Serban Vasile en Giorgio Germont quant à lui, n’atteint pas tout à fait les espérances du rôle, d’une part, parce qu’une légère ouate atténue son timbre, ce qui gêne ses arias et ses duos avec Violetta et d’autre part, parce que la direction d’acteur n’est pas idéale non plus lors de ses duos avec Violetta hélas. Le public apprécia cependant bien les rôles secondaires comme Albane Carrère en Flora Bervoix ou Sandrine Buendia en Annina aux timbres clairs et expressifs, ou encore Geoffroy Buffière en Docteur Grenvil, Kenny Ferreira en Gaston de Letorieres, Dominic Veilleux en Marquis d’Obigny et Gabriele Ribis en Baron Dauphol dont les tenues restaient sûres tout au long de l’œuvre .
L’orchestre sous la direction de Federico Santi et le chœur de l’opéra du Grand Avignon, sous la direction d’Alan Woodbridge, restent également remarquables. Bien que l’orchestre veuille rester plus narratif plutôt que lyrique, morcelant ainsi parfois la continuité musicale en fonction des scènes, il transmet bien la richesse chromatique de l’orchestre verdien, si proche de la symphonie. Et le chœur, dans sa cohésion et son individualité, donne vie à son ensemble, qui est comme souvent chez Verdi un personnage en plus.
Malgré une mise en scène qui interroge sur son propos et son à propos, le public ne s’est pas trompé en applaudissant ce spectacle musicalement réussi.
Avignon, Opéra, 13 octobre 2024
Crédits photographiques : Studio Delestrade - Avignon
Andreas Rey