A Genève, Britten et Chostakovitch avec orchestre de chambre

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Dans le cadre du cycle Britten-Chostakovitch présenté durant cette saison par l’Orchestre de la Suisse Romande, a été proposé, le 29 janvier, un programme fascinant car les trois oeuvres choisies requéraient une formation de chambre. Pour le diriger, l’on a fait appel au chef anglais Alexander Shelley, directeur musical de l’Orchestre National des Arts à Ottawa et premier chef associé du Royal Philharmonic Orchestra à Londres.

En première partie, sont donc inscrits deux ouvrages de Benjamin Britten. Le premier, Lachrymae, a été élaboré pour alto et piano et a été créé au Festival d’Aldeburgh en juin 1950 par son dédicataire, William Primrose, accompagné par le compositeur lui-même ; puis, à la demande d’un autre célèbre altiste, Cecil Aronowitz, la partie de clavier a été remaniée pour orchestre à cordes en 1976 sous cote op.48 a. Et c’est donc à cette seconde version que nous confronte Alexander Shelley avec le concours de l’altiste soliste de l’OSR, Elcim Özdemir qui, dès le Lento introductif, bénéficie d’un canevas tamisé pour exposer avec une douloureuse noblesse la mélodie de John Dowland, If my complaints could passion move servant de base à dix variations ; la ponctuation véhémente des contrebasses entraîne le discours vers un allegro pathétique que la soliste rend expressif par la virulence des pizzicati et doubles cordes ; et la reprise du motif initial rassérène la coda. En bis, la jeune femme réunit sous forme de quatuor les chefs de pupitre afin de révéler la page originale de John Dowland. 

Intervient ensuite le ténor américain Nicholas Phan, remplaçant son collègue britannique Andrew Staples, malade, pour interpréter Les Illuminations op.18 sur des poèmes d’Arthur Rimbaud ; ce cycle a été conçu pour voix de soprano ou de ténor durant l’automne de 1939 et a été créé le 30 janvier 1940 par Sophie Wyss et le Boyd Neel Orchestra. Dans la Fanfare initiale, le chanteur fait valoir la qualité de sa diction en dardant judicieusement ses aigus dans la rapide évocation de ‘Villes’, tout en les irisant de touches claires dans ‘Phrase’. Puis il se laisse emporter par le flux des cordes pour développer un lyrisme pathétique dans les séquences narratives ‘Antique’ et ‘Royauté’ et répandre les traits vocalisés de ‘Marine’. Il détimbre le son dans ‘Interlude’, mixe les couleurs de ‘Being Beauteous’ et de ‘Parade’ avant de revenir à la voix blanche pour ‘Départ’.

La seconde partie du programme met en perspective ces deux pages de Britten avec la Quatorzième Symphonie de Dimitri Chostakovitch incluant deux voix solistes, orchestre de chambre et une légère percussion. Créé à Leningrad par Rudolf Barshai le 29 septembre 1969, cet opus 135 recourt à des poèmes d’Apollinaire, Garcia Lorca et Küchelbecker, un décembriste russe, et est dédié à Benjamin Britten. Les chanteurs engagés pour ce concert sont la basse Mikhail Petrenko, entendu récemment à l’Opéra des Nations dans le rôle-titre de Boris Godounov, et la soprano lituanienne Asmik Grigorian, découverte lors du Concert du Centenaire de l’OSR le 30 novembre 2018. Afin de donner une cohésion dramatique à cette vaste fresque, la baguette d’Alexander Shelley enchaîne les onze séquences en jouant sur les violents contrastes de coloris : ainsi l’on passe de la désolation imprégnée par la basse au ‘De Profundis’ à la ‘Malaguena’ enflammée de la soprano puis au réalisme blafard que les deux voix greffent sur l’évocation d’une bien sinistre ‘Loreley’. L’émotion atteint ensuite au paroxysme avant de retomber dans le vide avec un xylophone ponctuant ‘Madame, regardez !’ et de noyer dans l’anxiété le plaidoyer de ‘A la Prison de la Santé’. Et c’est dans une véhémence doublée d’exaltation que s’achève ce terrible constat d’échec, laissant le public bouche bée avant que n’éclatent les salves d’applaudissements.    

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 29 janvier 2020

Crédits photograĥiques : Rémi Thériault

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