Pour Netrebko avant tout

par

Giuseppe Verdi (1813-1901)
Il Trovatore
G. RIVERO (Manrico), A. NETREBKO (Leonora), P. DOMINGO (Luna), M. PRUDENSKAYA (Azucena), A. SAMPETRAN (Ferrando), solistes, Staatsopernchor & Staatskapelle Berlin, dir.: Daniel BARENBOÏM, mise en scène Philipp STÖLZL 2014-Live Berlin 2013- 145 '-Textes de présentation en anglais, allemand et français-chanté en italien-DG 00 440 073 5132

Un Trovatore décevant pour deux raisons : une mise en scène affligeante, et l'absence d'un Manrico. Philipp Stölzl a beau avoir travaillé avec des stars du rock comme Rammstein ou Madonna, il ne propose aucune vision particulière du chef-d'oeuvre verdien. Un coin de remparts forme des murs impressionnants, qui serrent les héros au plus fort d'un imbroglio familial tragique. Ce décor se modifie parfois, grâce aux lumières d'Olaf Freese, jusqu'à même saigner. Les costumes d'Ursula Kudran, dans l'ensemble, sont laids, et les grimages affreux. La direction d'acteurs brille par son absence, et, de ce fait, l'action languit souvent, surtout aux actes II et III, rendant la trame encore plus incompréhensible que d'habitude. Et ce ne sont pas les scènes chorales qui en améliorent le traitement : au contraire, les choeurs, clowns en haut-de-forme, ajoutent au grotesque. Et le joli jeu d'ombres des soldats avec hallebardes, s'il charme au tout début, finit par lasser, étant repris systématiquement au long de l'opéra. Heureusement, il y a la musique. Malgré une battue quelques fois molle, Barenboim aime l'oeuvre et soutient bien ses solistes. Sampetran chante sa ballade avec brio, et les comprimari sont adéquats, en particulier l'Inès d'Anna Lapkovskaia. Très bonne Marina Prudenskaya, Azucena outrageusement fardée, mais... quel timbre et quel tempérament ! Second (gros) point faible de cette production, le Manrico de Gaston Rivero. Ni force, ni puissance ne caractérisent cette voix plutôt insignifiante, et qui ne séduit que dans les instants lyriques, tels le duo final avec Leonora : là, il est à son meilleur. Mais la fin de l'acte I ou sa fameuse scène au III, pâtissent de son manque criard de moyens. Heureusement, les choeurs l'aident bien dans "Di quella pira" dont il sort à peu près indemne. Dans sa seconde vie de baryton, Placido Domingo est un habitué du Comte de Luna, qu'il incarne avec son sens dramatique bien connu. Sa voix, tout de même encore fort ténorisante, confère au rôle une certaine ambiguïté, qui ajoute à l'interprétation un étrange soupçon de trouble. Que dire encore de la brillantissime Anna Netrebko ? La petite Ludmilla pudique de Gergiev en 1996, est devenue star internationale, et sa réputation est, ô combien, justifiée. Au-delà d'un incontestable charme physique, la soprano russe (revêtue de robes ridicules) s'impose dès " Tacea la notte", et se donne toute entière dans la cabalette qui suit. Suprême dans ses duos, triomphante dans les ensembles, elle se surpasse au dernier acte, avec un sublime "D'amor sull'ali rosee", un "Miserere" d'une puissance fabuleuse, et un exceptionnel duo avec le Comte de Luna, extraordinaire d'intensité. Un Trovatore à demi réussi donc, et c'est bien dommage.
Bruno Peeters

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