70e Festival d’Aix-en-Provence

par

© Pascal Victor / Artcompress

Bien voir pour mieux entendre
« L’Ange de feu » et « La Flûte enchantée »
Les mises en scène de Mariusz Trelinski pour « L’Ange de feu » de Prokofiev et de Simon McBurney pour « La Flûte enchantée » de Mozart prouvent combien les yeux, justement sollicités, ouvrent davantage les oreilles. 
Régulièrement, nous sommes exaspérés par certaines mises en scène encombrantes dont le capharnaüm ou les prétentions conceptuelles compromettent la bonne réception de l’œuvre représentée. Une formule résume la situation : les yeux ferment les oreilles ! On n’entend plus, on n’écoute plus.Heureusement, certains metteurs en scène ont l’art exact de leur métier qui est de mettre en images significatives, de donner à voir et à mieux ressentir et comprendre ce que l’on entend. Ainsi Mariusz Trelinski et Simon McBurney dans leurs deux productions du Festival.
La lecture du synopsis de « L’Ange de feu » de Prokofiev nous plonge dans une réelle perplexité, tant l’oeuvre est complexe dans sa perpétuelle confusion entre ce qui est réel et ce qui est fantasmé. Renata est obsédée par un « ange de feu » qui lui apparaît régulièrement depuis sa petite enfance. Fantasme ou réalité incarnée alors en un certain Heinrich. Elle embarque Ruprecht dans son délire. Trelinski non seulement rend cette histoire davantage perceptible dans ses épisodes et les atmosphères qu’ils suscitent, mais réussit à l’enrichir d’un point de vue personnel sur ses significations potentielles. Grâce à l’ingéniosité de sa scénographie, grâce à sa direction des interprètes.
Le rideau s’ouvre sur une façade sans mur qui donne à découvrir toutes sortes de lieux dans lesquels les personnages vont se déplacer ; les parois de ces lieux vont s’élever, s’abaisser, s’écarter pour que d’autres lieux surgissent. Des lumières, très travaillées, atmosphérisent ces différents espaces. Nous sommes au cinéma en fait, grâce à une succession fluide de plans-séquences, grâce à des variations de cadrage, qui nous rapprochent d’un personnage ou nous offrent une vue d’ensemble d’une situation. Cette façon de faire nous accroche à ce qui se joue. D’autant plus que la direction des interprètes est tout aussi fluide et intense. Il est vrai, et il faut vraiment le souligner, qu’Ausriné Stundytè-Renata et Scott Hendricks-Ruprecht, quasi en permanence sur le plateau, s’emparent merveilleusement de leurs rôles aussi beaux qu’exigeants vocalement. Quelle performance ! Il est vrai aussi que Kazuchi Ono obtient de l’Orchestre de Paris qu’il aille jusqu’au terme des expressivités fantastiques de la partition de Prokofiev.
Une autre fête significative pour les yeux – et donc pour les oreilles - est « La Flûte enchantée » telle que Simon McBurney la donne à voir – c’est une reprise de la production de 2014. L’œuvre est multiple dans ses significations possibles, et le plus souvent, les metteurs en scène en systématisent une : conte de fées, récit d’initiation humaine et amoureuse, programme maçonnique, etc. Simon McBurney réussit lui à les offrir toutes, au point que chacun des spectateurs y trouve son compte/conte ! Et cela grâce à un théâtre à la fois bricolé et numérique. La pluie qu’on entend, on la voit naître grâce à un arrosoir dont on verse l’eau dans un seau aux parois amplifiées, l’orage dans une tôle secouée, la montagne dans quelques traits dessinés sur une ardoise et projetés. D’autres effets recourent aux plus récentes technologies. C’est magique et cela donne à entendre dans toutes ses variations tout aussi magiques la merveilleuse musique de Mozart.
L’opéra est ainsi un art total, fête pour les oreilles et pour les yeux, pour le cœur et pour l’esprit.
Stéphane Gilbart
Aix-en-Provence juillet 2018

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