Des Rencontres Musicales de haut vol à Evian

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© Xu-Acoustique

La scène ? un rideau de bouleaux plantés en terre, des lustres figés en larmes de glace. La salle ? une isba géante offerte à Rostropovich par son ami Antoine Riboud il y a vingt-cinq ans. Depuis 2014, l’Evian Resort a confié au Quatuor Modigliani le soin de ranimer le faste de ces fameuses « Rencontres » d’été à la Grange au lac. Elles s’étoffent désormais avec un printemps du piano, un automne lyrique et un hiver jazzy.

Programmation de haut vol, splendeur du site naturel, synergie avec les acteurs de la vie locale, éclectisme du public, tout contribue à créer cet irrésistible charme évocateur de Glyndebourne autant que celui des hauts lieux du thermalisme. Naturellement les cordes étaient à l’honneur : l’été commençait ainsi avec une légende de la musique de chambre, le Quatuor Hagen, auquel succédait le Trio Zimmermann qui avait fait le parti hasardeux d’un «  arrangement » des Variations Goldberg pour… trio ! C’est Bach aussi que choisissait le virtuose poids-plume de dix-sept ans, Daniel Lozakovich, le lendemain, pour deux bis (Allemande et Sarabande) « en direct du ciel » antidote bienfaisant au clinquant du Concerto en ré majeur op. 35 de Tchaïkovski. La direction enveloppante de Jean-Jacques Kantorow à la tête de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, faisait ensuite de la Symphonie italienne un tissus chatoyant où l’élégante orchestration de Mendelssohn était bien mise en valeur. Le gentleman du violon, James Ehnes et ses satellites parmi lesquels de fines lames comme Joseph Spacek (très belle Sonate pour violon seul n°5 d’Ysaÿe), Adrien La Marca ou Edward Arron s’épanouissaient là encore avec Mendelssohn (Octuor à cordes op.20) repos bienvenu après l’ âpre Sonate pour deux violons op. 56 de Prokofiev. La Russie, en effet, constituait le fil rouge de la programmation 2018. Construire des programmes cohérents sur cette base relevait parfois du défi. Ainsi du programme « Souvenir de Florence » proposé par le Quatuor Modigliani : Mozart (Les Dissonances), Saariaho (Terra Memoria, évocation désincarnée voire désossée d’ « esprits défunts » qui faisait regretter l’énergie des danses macabres de Saint-Saëns ou Liszt) et le Sextuor florentin de Tchaïkovski, hommage à une beauté latine qui jubile d’elle même sans direction bien définie. Des univers esthétiques étrangers les uns aux autres cohabitaient ainsi sans que la raison d’une telle proximité s’imposa vraiment. C’est que l’inspiration composite des « Russes » a basculé au cours de l’histoire, du tropisme occidental à celui de l’Orient en passant par la glaciation soviétique et parfois tout cela en même temps ; si bien qu’il reviendrait finalement à un pianiste, Nicolaï Lugansky, de résoudre heureusement l’équation en unissant Debussy, Chopin et Rachmaninov dans la même soirée. Après une entrée en matière assez clinique, ce grand seigneur du piano convoquait en seconde partie (5e Prélude op. 23 Alla marcia ) puissances infernales et virtuosité au service d’une imagination puissante, précise et mélancolique. Piano sensible et habité également avec son cadet, Nathanaël Gouin face à trois des Etudes-Tableaux op. 39 puis chambriste efficace dans un superbe Quintette pour piano et vent de Rimski-Korsakov où Nicolas Baldeyrou (clarinette), Julien Hardy (basson) et José Vicente Castello Vicedo (cor) le rejoignaient avec autant de brio que d’humour : l’un des délicieux concerts donnés dans la bonbonnière du Théâtre du Casino. Au Palais Lumière, place aux Classes de maîtres où le récent vainqueur du Concours de violoncelle Reine Elisabeth, Victor Julien-Laférrière, s’attachait à ouvrir des espaces de progression aux élèves plutôt qu’à « faire le spectacle » comme c’est trop souvent le cas. Il en était de même pour l’immense pédagogue du violoncelle, Hélène Dautry ou pour les Modigliani guides délicats dans l’appariement si vétilleux des ensembles de cordes. C’est le même souci de transmettre qui a inspiré la création du « Sinfonia Grange au Lac », formation dédiée au site du même nom et placée pour son inauguration sous la direction magistrale d’Esa-Pekka Salonen. Immense succès pour le galbe et la précision d’une 3e Symphonie de Beethoven enlevée par un chef dont les bras semblent des ailes. Naissance réussie pour cette nouvelle formation d’élite. Ajoutez à cela un Atelier pour les jeunes talents, des initiations à la facture d’instruments, au solfège ludique, des promenades musicales depuis le kiosque passant par le Jardin de musique jusqu’au Théâtre du Casino, Palais des Lumières et ses expositions, avant d’emprunter le funiculaire qui vous transportera sur les hauteurs boisées où se niche « La » Grange. Et, sur le trajet, tous les types de restauration imaginables – depuis la gastronomie la plus raffinée jusqu’à la guinguette de bord de plage où l’on côtoie cygnes et couvées de canards. « Toujours plus haut » annoncent les brochures du Festival. Décollage fulgurant en dépit de quelques ajustements souhaitables : une ligne de programmation plus lisible dans sa cohérence musicale ainsi que l’élaboration d’un agenda vraiment complet incluant tous les intervenants avec des logos explicites (ceux des différentes « saisons » de la Grange au Lac se révélant particulièrement elliptiques !) qui feront certainement partie des objectifs 2019. Rendez-vous l’année prochaine … ou en toutes saisons, au bord du Lac.
Bénédicte Palaux Simonnet
Evian, 30 juin - 8 juillet 2018

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