À Angers, une soirée « Titanesque »

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C’est sous ce titre accrocheur que l’Orchestre National des Pays de la Loire convoquait son public pour son dernier concert d’abonnement dans un programme d’une densité peu commune. Les créations se suivent sans se ressembler à l’ONPL. Après Un Français à New York, parodie très réussie de Paul Lay d’après Gershwin créée il y a à peine une quinzaine de jours, voilà une autre commande avec Lo(i)re, brève pièce du compositeur français Aurélien Dumont, ex pensionnaire de la Villa Médicis à Rome et professeur de composition au CNSM de Lyon. Chanceux, le compositeur avait à sa disposition l’immense effectif orchestral exigé par la Première Symphonie de Mahler jouée après l’entracte. 

La musique de cet ancien élève de Gérard Pesson avant des études à l’IRCAM de Paris, intègre toutes sortes de modes de jeu dans un souci quasi naturaliste induisant une réflexion liée à l’écologie et « la problématique de l’Homme et de son environnement. » Lo(i)re, c’est bien sûr le fleuve majestueux dont la course s’achève à l’estuaire de Saint-Nazaire après un crochet à quelques kilomètres d’Angers, puis à Nantes, les deux ports d’attache de l’ONPL qui lui a commandé sa nouvelle partition. Quant à la parenthèse sur le « i », elle provient du terme « lore », un mot nouveau dérivé de « folklore », définissant l’histoire et les traditions autour d’un univers de fiction. Imaginant une histoire autour du fleuve sauvage qu’est la Loire, Aurélien Dumont a tissé un univers sonore fascinant utilisant l’orchestre traditionnel au grand complet avec une abondante percussion et des micro-polyphonies générées par des crépitements produits par le crin des archets, mais aussi avec l’emploi d’appeaux, créant une atmosphère de lever du jour (sans liens harmoniques et esthétiques avec celui de Ravel !) dans lequel surgit Fafner, le grotesque dragon wagnérien, figuré par un tuba. Cette courte pièce, suggestive et chatoyante par ses multiples bruissements, est des plus séduisantes. En présentant son oeuvre au public, Aurélien Dumont n’a pas manqué de rappeler la situation précaire de la culture dans notre monde tourmenté, particulièrement dans le département de Maine et Loire où les subventions ont été dramatiquement rabotées, créant un fâcheux modèle faisant peu à peu tâche d’huile sur le plan national.

Le concert se poursuivait avec l’arrivée d’une sorte de troll souriant et bienveillant en la personne du jeune violoniste canadien Blake Pouliot, dont l’ascension fulgurante dépasse largement les frontières de son vaste pays. Sa sonorité ample et son jeu passionné conviennent parfaitement au romantisme débridé du splendide Concerto pour violon d’Erich Wolfgang Korngold, oscillant sans complexe entre musique de concert et musique de film, cette dernière ayant largement été reprise dans cette oeuvre créée triomphalement par Jascha Heifetz. On se souvient, qu’enfant prodige encouragé par Mahler et admiré par Sibelius et Puccini, Korngold termina sa carrière aux Etats-Unis, fuyant le nazisme, en devenant un compositeur très courtisé par l’industrie cinématographique d’Hollywood. Blake Pouliot a donné une interprétation de haut vol, dominée par une autorité souveraine, une intonation sans faille et un engagement total. Faisant littéralement corps avec l’orchestre, le violoniste suivait tous les pupitres d’un regard complice et amusé. Dans The Last Rose of Summer, célèbre mélodie irlandaise donnée en bis, il dévoilait une part plus intime et mélancolique de son jeu. Sa générosité exceptionnelle s’est encore prolongée après l’entracte en rejoignant modestement les derniers rangs des premiers violons comme renfort pour la magistrale exécution de la Première Symphonie, « Titan » de Gustav  Mahler. 

Directeur musical de l’ONPL depuis 2022, le Viennois Sascha Goetzel baigne dans cette musique. Invité par Seiji Ozawa à Tanglewood, puis suivant les cours de direction de Zubin Mehta, Riccardo Muti et Jorma Panula, il nous a donné une interprétation saisissante de bout en bout de cette symphonie contenant déjà tous les affects et le langage de Mahler. Après un premier mouvement au climat pastoral encore tout imprégné des lieder et de l’atmosphère du Knaben Wunderhorn, Sacha Goetzel pris au mot l’indication « Kräftig bewegt » (costaud, vigoureux et animé) demandée par le compositeur en adoptant un tempo plutôt modéré, dans une carrure paysanne semblable aux toiles de Brueghel l’Ancien. Changement de climat ensuite avec le canon Frères Jacques introduit telle une marche funèbre, en mineur, par la contrebasse solo (Andrès Fernandez-Subiela), sur un fond obsédant et lugubre de timbales pour finir dans quelque auberge populaire bohémienne de mauvaise vie. Couronnement de cette Première Symphonie, qui n’a vraiment rien d’un essai mais qui ouvre plutôt un nouveau monde sonore et expressif, l’ultime mouvement avec son éclat gigantesque était mené de maître par un Sacha Goetzel littéralement exalté, tirant l’ONPL au maximum de sa puissance sonore et expressive et, du même coup, marquant les limites acoustiques du Centre des Congrès d’Angers aux confins de la saturation. Cette splendide exécution fut saluée par une salve de hourras mérités émanant d’un public particulièrement secoué par la puissance mahlérienne.

François Hudry 

Angers – Centre des Congrès, 5 juin 2025

Crédits photographiques : Sascha Goetzel © Sébastien Gaudard/ONPL

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