A Genève, Beethoven et Shchedrin à l’affiche d’un concert sans public

par

Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Le Roi Etienne, ouverture op. 117 ; Concerto pour piano et orchestre en do mineur n° 3 op. 37. Rodion Shchredin  (°1932) : Carmen-Suite, ballet en un acte. Mikhaïl Pletnev, piano ; Orchestre de chambre de Genève, direction Gábor Takács-Nagy. 2021. Notice en français et en anglais. 86.30. Un album de deux CD Claves 50-3039-40.

Le présent album propose l’intégralité du concert donné sans public le 2 mars 2021 au Victoria Hall de Genève, en pleine pandémie. Il s’est cependant déroulé devant les caméras afin de le diffuser en streaming. La notice explique les circonstances de l’enregistrement qui a abouti au double processus, celui du produit Claves et celui de la séquence filmée. Avec des difficultés de dernière minute : la positivité au Covid du premier violon, qu’il a fallu remplacer en urgence, ainsi que l’isolement du petit nombre d’instrumentistes qui ont été en contact direct avec lui. Ceci résolu, le concert a pu avoir lieu, tel qu’il est disponible aujourd’hui.

Le programme débute par l’ouverture du Roi Etienne, extraite d’une musique de circonstance créée au Théâtre de Pest le 9 février 1812, complétée à l’origine par neuf parties chantées. Elle est consécutive à la construction d’un théâtre, décidée par l’Empereur François Ier pour célébrer la fidélité de la Hongrie à l’Autriche, en rappelant le nom d’Etienne Ier, fondateur du Royaume de Hongrie au début de l’an 1000. Les amateurs de raretés beethoveniennes pourront découvrir une récente version de la partition complète de ce Roi Etienne due à la Cappella Aquileia, placée sous la direction de Marcus Bosch, un enregistrement effectué en 2019 (CPO). Les autres se contenteront de la présente exécution de l’ouverture, d’une durée d’un peu moins de sept minutes. L’Orchestre de Chambre de Genève donne de cette page secondaire une version de concert intéressante, avec des fanfares bien placées, des rythmes de danses contrastés et quelques passages d’un lyrisme à courte vue. Beethoven était lui-même peu heureux du résultat final, on ne peut que lui donner raison.

S’il fallut faire face, ce 2 mars 2021, au remplacement de certains pupitres pour cause de Covid, le soliste prévu pour le Concerto pour piano n° 3, Mikhaïl Pletnev (°1957), était lui bien en place. Ce virtuose, qui est aussi chef d’orchestre et compositeur, a enregistré une intégrale des cinq concertos avec l’Orchestre National de Russie (qu’il a fondé à Moscou en 1990), placé sous la direction de Christian Gansch (DG, 2008). Le souvenir n’en est pas impérissable ; celui du concert genevois ne le sera pas beaucoup plus. Est-ce l’effet de l’absence de public ? Tout au long de ce concerto, on attend en vain la densité expressive du propos. Un Allegro con brio qui ne décolle jamais, un Largo qui ne chante pas, un Finale sans exultation, cela n’incite guère à l’enthousiasme. Pletnev paraît bien sage et peu concerné. L’orchestre est fade, mené de manière routinière par Takács-Nagy. Tout cela manque de vie et de profondeur.

Curieusement, c’est la deuxième partie du programme qui retient le plus l’attention. Avec une affiche surprenante face à Beethoven : le ballet Carmen-Suite de Rodion Shchedrin, une réorchestration astucieuse de la musique de Bizet, écrite pour l’épouse du compositeur russe, l’extraordinaire danseuse Maïa Plissetskaïa (1925-2015). Une version filmée de sa prestation au Bolshoï en 1967, année de la création dans la chorégraphie d’Alberto Alonso, existe sur DVD (VAI). Ce ballet valut à Shchedrin une réputation internationale. Il faut dire que tous les ingrédients, cordes et importante percussion (timbales, marimba, vibraphone, castagnettes, cloches de vaches, etc.) concourent à la réussite. Ils reprennent des moments essentiels de l’opéra de Bizet dans une série de treize scènes au cours desquelles Shchedrin fait preuve d’originalité et d’inventivité, tout en conservant à l’œuvre le parfum initial qui avait tant séduit Plissetskaïa, qui adorait l’opéra. La danse se révèle colorée et envoûtante (Entrée de Carmen et Habanera), érotisée (Scène) ou pleine de panache (Torero). Shchedrin n’a pas hésité à emprunter à d’autres partitions de Bizet, comme la farandole de L’Arlésienne ou La Jolie fille de Perth. Gennadi Rozhdestvensky, qui a dirigé la ballerine mythique lors de la création, en a laissé une exubérante version de référence chez Melodiya, couplée à Anna Karénine du même Shchedrin. La présente version en donne une lecture bien en place, rythmée et dynamique. Les musiciens semblent avoir pris bien du plaisir à s’encanailler dans cette vision moderne de Carmen. Takács-Nagy laisse libre cours à leur déploiement de joie et de sensualité. 

On classera sans hésiter cet album inégal au rayon consacré à Shchedrin. Beethoven se consolera vite avec d’autres versions du troisième concerto qui lui rendent mieux justice.

Son : 8  Notice : 7,5  Répertoire : 10  Interprétation : Beethoven 6 / Shchedrin : 9

Jean Lacroix

 

  

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.