A Genève, de jeunes talents pour la musique française

par

A côté des séries de concerts organisés par l’Orchestre de la Suisse Romande, le Service Culturel Migros et l’Agence Caecilia, le Victoria Hall de Genève accueille chaque semaine les formations les plus diverses. De nos jours, l’Orchestre de la Haute Ecole de Musique (HEM) en est l’une des meilleures par la qualité de ses prestations, ce dont a attesté l’enregistrement intégral de l’Ascanio de Saint-Saëns publié par B Records. Et c’est en collaboration avec le Chœur de l’Université de Genève sous la direction de son chef, Pierre-Antoine Marçais, qu’a été présenté, le 21 octobre, un programme de musique française sortant des sentiers battus. 

Y figure d’abord Les Djinns, une page brève du jeune Gabriel Fauré datant de 1875, dont le canevas instrumental suggère l’étrangeté mystérieuse, alors que les voix égrènent les vers de Victor Hugo si difficiles à comprendre (ce qui toujours été le cas dans toute exécution). Mais au moins se répand un climat de terreur sur une pulsation haletante qui atteint le paroxysme du tragique avec Cris de l’enfer ! voix qui hurle et qui pleure !, avant de retomber avec C’est la plainte Presque éteinte D’une sainte Pour un mort.

A cette fresque violente succède le Gloria que Francis Poulenc acheva en décembre 1959. Pierre-Antoine Marçais en dégage d’emblée le caractère triomphant en édifiant de véritables arcades sonores sur la scansion du chœur. Changement de décor avec un Laudamus te regardant du côté des guinguettes selon le vœu du compositeur qui songeait aux anges tirant la langue de Benozzo Gozzoli. Intervient ensuite Clémence Tilquin, magnifique voix de soprano au timbre pulpeux déployant un éventail de ferveur sur la séquence du Domine Deus, avant de modeler de délicates inflexions sur l’arpège à intonation périlleuse du Domine Deus, Agnus Dei. Et le Qui sedes ad dexteram Patris conclusif est martelé par des cuivres cinglants provoquant un fugato éclatant qu’interrompra brusquement un Amen déchirant de la soliste soutenue par le chœur.

La soprano est ensuite rejointe par l’alto Mi-Young Kim, le ténor Pierre Arpin et la basse Raphaël Hardmeyer pour présenter une œuvre trop peu connue de Camille Saint-Saëns, la Messe de Requiem op.54 datant de 1878, dont le chef met en valeur le pathétique tragique empreint de désarroi. Le chœur à mezza voce fait émerger le sentiment de terreur du Dies irae, proclamé ensuite par le grand orgue et les deux trombones dans le Tuba mirum butant sur la béance du Mors stupebit. Le Rex tremendae majestatis est lancinant par l’intervention d’un chœur homophone qui répond aux suppliques du ténor au timbre clair mais à l’aigu rigide, tandis que l’Oro supplex et acclinis n’est que désolation, allégée par un Hostias en pianissimo legato sur arpèges de harpe. Par le plein jeu de l’orgue, le Sanctus est image de grandeur qu’irise le Benedictus, enveloppé d’une lumière dorée. L’Agnus Dei renoue avec l’Introït désabusé du début qui semble se rattacher au premier tableau de Samson et Dalila, antérieur d’une année ; l’émotion intense dont le chœur est porteur rend d’autant plus saisissante la déploration s’achevant pianissimo, en points de suspension. Mais un détachement rasséréné enveloppe le Cantique de Jean Racine op.11 de Gabriel Fauré, donné en bis et achevant ce très beau concert.                      

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 21 octobre 2020 

Crédits photographiques : Pierre-Antoine Marçais

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.