A Genève, une impressionnante Sixième de Mahler

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Pour présenter la Sixième Symphonie en la mineur dite Tragique de Gustav Mahler, l’Orchestre de la Haute Ecole de Musique de Genève collabore avec l’Orchestre de la Suisse Romande afin de constituer la gigantesque formation qui soit en mesure d’exécuter cette œuvre à nulle autre pareille. Dans la proportion de 2/3  1/3, s’amassent donc,  sur la scène du Victoria Hall le 10 décembre, 66 jeunes instrumentistes encadrés par 33 des chefs de pupitre de l’OSR. Durant plusieurs jours, tous travaillent d’arrache-pied sous la direction de la cheffe finlandaise Eva Ollikainen, directrice artistique actuelle de l’Orchestre Symphonique d’Islande.

Avec quelle énergie cette jeune artiste quadragénaire empoigne cette fresque quadripartite exprimant le désenchantement du musicien confronté à la cruauté du monde qui l’entoure et hanté par la prémonition de la mort de sa première fille, prémonition qui innervait déjà le cycle des Kindertotenlieder et les deux premiers mouvements de la Cinquième Symphonie. Que de réactions négatives suscitera la création du 27 mars 1906 à Essen sous la direction chaotique de Mahler lui-même qui déclarera : « Ce sera pour nos critiques une dure noix à craquer !». Comment pouvait-il en être autrement, au vu de l’arsenal démesuré de percussions, incluant un célesta, un xylophone, un gigantesque marteau aux coups sourds, les cloches, le glockenspiel, les cloches de vache affrontant les bois par cinq, dix cors, six trompettes, quatre trombones, un tuba et les deux harpes.

Pour en revenir à l’exécution du 10 décembre, l’Allegro energico ma non troppo sonne comme une marche abrupte ponctuée par les timbales, tambours et cordes graves. S’érigent de véritables arches sonores dont se dégage le legato des bois entraînant dans son sillage l’expansion lyrique des violons. Au da capo des premières mesures, succède le développement où pointe une accalmie passagère grâce au dialogue du violon solo et du cor, agrémenté par le célesta et de lointaines cloches de vache.

A l’inverse de l’édition critique de 1963 plaçant le Scherzo comme deuxième mouvement,  Eva Ollikainen opte pour l’Andante moderato que Mahler aurait choisi lors de la création à Essen, en inversant ainsi l’ordre des mouvements. Elle y fait chanter les cordes dans le grave en un phrasé souple produisant un climat rasséréné que pimente le cor anglais sur fond de cloches de vache. Par la franchise des attaques, le Scherzo  laisse vrombir les cuivres sarcastiques qu’atténuera le Trio par ses inflexions démodées. Quant au Finale, il fait sourdre des graves un déferlement du tutti strié par les glissandi de harpe. La marche du tuba ponctuée par les bois amorce le développement où les contrastes dynamiques tentent d’ébranler les pics paroxystiques. Cette descente aux enfers est entrecoupée par les coups de marteau aussi inexorables que le coup de grâce donné par les timbales, la grosse caisse et l’ultime pizzicato des cordes. Et les spectateurs enthousiasmés bondissent de leur siège pour applaudir longuement Eva Ollikainen et les artisans de cette indéniable réussite.

Genève, Victoria Hall, le 10 décembre 2024

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