A Genève, le Bruckner de Marek Janowski

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Pour l’avant-dernier concert de sa saison 2021-2022, l’Orchestre de la Suisse Romande invite Marek Janowski qui a été son directeur artistique et musical de 2005 à 2012. De cette période, l’on garde en mémoire une impression mitigée avec des lectures délibérément pesantes de Beethoven, Schumann ou Brahms mais aussi un stupéfiant 1er acte de Die Walküre donné un dimanche après-midi de novembre 2008 ou un magnifique Elias de Mendelssohn affiché en octobre 2009. Pour la firme discographique Pentatone, le chef et l’orchestre ont réalisé une intégrale des symphonies de Bruckner, fort appréciée par la critique spécialisée qui loua le fait qu’une phalange symphonique latine s’attaquât à ce répertoire.

Il faut bien reconnaître que son interprétation de Bruckner atteint à des sommets inégalés. La preuve nous en a été donnée le mercredi 1er juin au Victoria Hall par une mémorable Cinquième Symphonie en si bémol majeur dont l’introduction lente prend ici une dimension déchirante qu’amplifient les tutti que Marek Janowski innerve d’une extrême précision rythmique. Sous le pizzicato des cordes, le violoncelle a des élans consolateurs que le tremolo rendra mystérieux, alors que le phrasé des bois semble en suspension. Une propension lyrique nourrit le cantabile des violons que pimente un trille étrange, tandis que les brusques contrastes d’éclairage passent du pianissimo subito aux nobles éclats des cuivres qui conduisent la progression jusqu’à une coda victorieuse. L’Adagio prend ici un tour archaïsant que se partagent les bois, pendant que les cordes développent un vaste choral dans une expression soutenue qui suscite le déploiement des cuivres érigeant une véritable cathédrale sonore. Le Scherzo tournoie en avançant inexorablement vers un trio où la tension se relâche par l’assouplissement des bois et du cor qui y instillent une connotation agreste. Le Final se déroule avec des accents péremptoires que diluent les cordes généreuses agrémentées d’une clarinette quelque peu hirsute. Par une indomptable énergie s’édifie l’entrelacs contrapuntique amenant une péroraison en apothéose que proclament trompettes, trombones et tuba. L’impact en est irrésistible à tel point que le public applaudit à tout rompre, glissant même un sourire de contentement dans les traits de l’impassible maestro.

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 1er juin 2022

Crédits photographiques :  Felix Broede

 

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