Dans des sonates de Mozart, Josep Colom se révèle audacieux et original

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Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Sonates pour piano n° 13 en si bémol majeur K. 333, n° 14 en ut mineur K. 457, n° 16 en ut majeur K. 545 et n° 18 en ré majeur K. 576. Josep Colom, piano. 2023. Notice en anglais et en espagnol. 81’ 25’’. Eudora EUD SACD 2408.

La dernière fois que nous nous étions arrêté à la production du pianiste catalan Josep Colom, originaire de Barcelone (°1947), où il a commencé sa formation avant de la poursuivre à l’École Normale de Musique de Paris, c’était le 3 juillet 2020, lorsque nous avions évoqué un album Liszt (Sonate)/Chopin (Sonate n° 3), dont le riche chant intérieur et la plénitude de la sonorité nous avaient séduit. C’était déjà pour le label Eudora, dans une gravure effectuée en 2018 à l’Auditorium de Saragosse. Ce virtuose, qui a notamment signé des albums Falla, Mompou, Nebra, Franck, Brahms ou Beethoven pour Mandala, Circé ou Harmonia Mundi, et est aussi un chambriste de qualité, nous le retrouvons sous le même label Eudora, avec un enregistrement mozartien réalisé sur un Steinway dans le même lieu des bords de l’Èbre, du 3 au 5 avril 2023. Mais son approche de quatre sonates revêt un caractère particulier, dont Luca Chiantore, pianiste et musicologue italien, souligne dans la notice l’audace et l’originalité.

De quoi s’agit-il ? Un peu selon une pratique adoptée par des solistes du début du XXe siècle, Colom intercale des interludes de son cru entre certains mouvements des sonates, à partir du contexte précédent, ou, la plupart du temps, en anticipant sur le mouvement suivant, entraînant à chaque fois une compréhension ou une attente. Ces formes d’improvisations, parfois très brèves (moins d’une minute à cinq occasions sur les sept intercalées) font office d’ornementations qui n’altèrent en rien l’avancée du parcours de chaque pièce. Colom y distille sa spontanéité et ajoute son propre espace de liberté à une interprétation dont la fluidité est l’essence même. 

Le programme s’ouvre par la K. 576, écrite à Vienne en 1789. C’est la dernière achevée par Mozart ; elle devait s’insérer dans une série de six qui n’a pas abouti. C’est une page magnifique, avec un Allegro plein d’esprit, un Adagio aux voluptés expressives, et un Allegretto d’une clarté légère. Deux interludes intercalés servent avec goût la dimension inventive de l’ensemble. C’est la K. 333 de 1778, composée à Strasbourg, à moins que ce ne soit à Paris, qui vient ensuite. On la rapproche souvent des pages de Jean-Chrétien Bach, un ami proche, mais le dix-huitième des enfants de Jean-Sébastien doit s’incliner devant l’imagination mozartienne, avec son Allegretto qui s’envole, son superbe Andante cantabile entre ombres et lumières, et son Allegretto grazioso presque frivole. Deux interludes ici aussi, qui s’insèrent avec naturel entre les trois mouvements.

Entre la K. 333 et la K. 457, six années vont s’écouler. En 1784, Mozart compose à nouveau pour le piano seul, et aussi plusieurs concertos pour l’instrument. La sonate écrite à Vienne revêt des côtés plus sombres, qui annoncent quelque peu le romantisme, avec son Adagio que l’on a rapproché du mouvement lent de l’Appassionata beethovenienne pour son aspect paisible, avant un Allegro vivace final entre plainte et turbulences. Deux interludes encore, dont l’un, qui s’accroche au Molto Allegro initial à la fin douloureuse, est le plus long de tous (2’ 12’’). Quant à la K. 545, achevée en juin 1788 et qualifiée de « sonate facile », elle est toute souplesse, émotion et délicatesse. Ici, un seul interlude, très bref, relie l’Allegro et l’Andante en un geste sobre.

Voilà un album bien attrayant, qui confirme ce que nous savions déjà de Josep Colom, à savoir une qualité de toucher qui se révèle à la fois pleine et aérée. Le programme dévoile une vraie proximité avec Mozart, qui, dans ce projet certes audacieux et original, est servi à chaque instant avec respect et pudeur.

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix   

Chronique réalisée sur la base de l’édition SACD.

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