A Genève, Martha Argerich donne le ton à l’OSR
Le deuxième concert de la saison 2024-2025 de l’Orchestre de la Suisse Romande affiche en gros caractères ‘Martha !’, ce qui provoque une ruée sur les places disponibles et un laconique ‘complet’ pour les deux soirées des 16 et 17 octobre. Il semble que, pour la première fois, Martha Argerich ait l’occasion de collaborer avec Jonathan Nott à la tête de l’OSR afin de présenter le Premier Concerto en ut majeur op.15 de Beethoven.
En guise de préambule, le chef opte pour l’orchestration que Maurice Ravel élabora en 1920 de quatre des pièces pour piano de son Tombeau de Couperin. Développé en vrilles rapides par le hautbois dialoguant avec la clarinette, le Prélude virevolte en déambulant avec une nonchalance que la Forlane accaparera afin d’ébaucher une Pastorale délicate, saupoudrée par les glissandi de harpe. Dépourvu de toute raideur compassée, le Menuet est empreint d’une nostalgie dont la Musette fera sourdre d’inquiétantes inflexions. Mais le Rigaudon les fera voler en éclats par cette allégresse qui étire les lignes jusqu’à la section médiane imprégnée d’une candeur bucolique par le cor anglais s’appuyant sur le pizzicato des seconds violons.
Passons rapidement sur une Huitième Symphonie de Beethoven, lourdingue dans ses mouvements extrêmes par sa grosse artillerie ponctuée par les timbales s’imaginant vectrices d’une exubérance que le Minuetto agrippera afin d’en faire sourdre la veine rustique. Par bonheur, l’Allegretto scherzando constitue le moment d’accalmie où la finesse de ligne des premiers violons suscite une propension au divertissement badin en demi-teintes ô combien salvatrices !
Et venons-en au Premier Concerto op.15 de Beethoven dont Martha Argerich est la soliste. Et l’on reste bouche bée devant la maîtrise technique qu’affiche, à quatre-vingt-trois ans, une artiste qui est l’incarnation même de la musique. Combien de grands pianistes de l’époque précédente a-t-on vénéré, même s’ils laissaient apparaître les séquelles de l’âge, tandis qu’ici, l’on admire l’intelligence du phrasé et la précision du trait pimenté par les abbellimenti de la main droite répondant à une introduction orchestrale imprégnée de Sturm und Drang sachant se canaliser ensuite en un canevas de soutien. Par instants, le piano se voile d’arpèges perlés embués de nostalgie amenant à une cadenza où chaque trait est valorisé par le rubato. Le Largo est innervé de demi-teintes intériorisées qui tirent les larmes par leurs relents amers, alors que le Rondò final est emporté par de brillants élans à l’arraché se jouant de dissonances intempestives et de faux accents, ce qui suscite le délire d’un public debout acclamant une artiste à nulle autre pareille. Devant tant de preuves d’affection qui sont de véritables cris du cœur, Martha finit par donner un premier bis, la Première Gavotte de la Troisième Suite Anglaise de Bach puis ‘Vom fremden Ländern und Menschen’, la page initiale des Kinderszenen op.15 de Robert Schumann, dans une sonorité infime qui bouleverse… Admirable !
Genève, Victoria Hall, concert du 17 octobre 2024
Crédits photographiques : Magali Dougados