« The Forest », le douloureux vitrail de Bryce Dessner à la Fondation Louis Vuitton

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Rendez-vous immanquable des amoureux du violoncelle, les récitals de la Classe d’Excellence de Gautier Capuçon à la Fondation Louis Vuitton à Paris sont aussi le creuset d’un nouveau répertoire pour ensemble de 7 violoncelles, frais et diversifié. Commandant à foison autant à Guillaume Connesson qu’à Matthias Pintscher, en passant par Bruno Mantovani et Salvatore Sciarrino, c’est aujourd’hui au compositeur américain Bryce Dessner de relever le défi.

Sa pièce The Forest est un douloureux vitrail construit tout en symboles.
En tant que citoyen du centre de Paris depuis quelques années désormais, c’est en voisin que Bryce Dessner a décidé de consacrer une œuvre à la blessure qu’a représenté il y a quelques semaines l’incendie de la Cathédrale Notre-Dame, et surtout de sa « forêt », charpente millénaire qui contient l’Histoire à elle seule.

Pour ce faire, le compositeur a utilisé pour support de courts fragments du célèbre organum Viderunt Omnes de Pérotin (1160-1230). Ainsi, The Forest est traversée de véritables samples-souvenirs de cette Ars Antiqua fondatrice. L’œuvre apparaît donc comme irriguée de l’intérieur par la Cathédrale elle-même, avec ses réminiscences de Pérotin qui chantent au travers des flammes, comme les bribes calcinées et vigoureuses du passé.

Typique de la musique de Dessner, l’œuvre alterne paysages figés, glacés et immobiles faits de tenues auxquelles se mêlent de lumineuses harmoniques aigües à des moments plus pulsés, où l’ensemble se met à proposer des motifs obstinés repris en homorythmie, où l’impression d’un véritable tutti orchestral surgit comme semblant sourdre de terre (on pense notamment à sa pièce pour cordes Réponse Lutoslawski). La fin de l’œuvre en apesanteur est remarquable : des accords resserrés dans l’aigu comme un hymne transparent, auxquels se superpose une glissade vers le bas dans le médium grave, lente et inexorable, à l’image de la chute de la flèche de Viollet-le-Duc. Le temps se suspend et l’éternité se fait.
Une création qui montre encore une fois la montée en puissance de la musique de Bryce Dessner. Quittant progressivement les rives du minimalisme new-yorkais, il abouti aujourd’hui à un style profondément personnel, et artisanalement irréprochable.
Signe d’un vrai enthousiasme, Gautier Capuçon prend les devants en décidant de bisser l’œuvre après le concert. Fait rare pour une œuvre contemporaine, et qui nous réjouit tant.

Le reste du programme de cette soirée 100% violoncelle (duos, quatuors) n’apportait qu’un intérêt relatif, étalant pièces de virtuosité creuses (Piatti) ou tubes du répertoire (Adagio d’Albinoni), joués cependant avec beaucoup de conviction et de musicalité par les jeunes violoncellistes de la Classe d’Excellence. Belle découverte cependant avec le Hauke Hack de Giovanni Sollima, délicieuse pièce pour 7 violoncelles là encore, aux accents pop et au climat enivrant, qui fait insensiblement bouger la tête de l’auditeur.

Une soirée pour la musique du grand Bryce, assurément.

Fondation Louis Vuitton, Paris, le 29/06/2019.

Crédits photographiques : Bryce Dessner à Paris © Claudia Hoehne

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