A Genève, un remarquable Festival proposé par Gli Angeli
Pour la quatrième année consécutive, l’ensemble Gli Angeli achève sa saison par un Festival Haydn & Mozart qui se décline en deux concerts symphoniques et deux soirées consacrées à la musique chorale. A côté d’une messe de Michael Haydn et du Requiem de Mozart, le choix s’est porté sur le premier oratorio de Felix Mendelssohn, Paulus, composé entre les premières semaines de 1834 et le printemps de 1836 et créé à Düsseldorf le 23 mai 1836 sous la direction du compositeur, alors âgé de vingt-sept ans.
Beaucoup moins connu qu’Elias (superbement présenté par Gli Angeli l’an dernier), ce Paulus évoque, en sa première partie, la lapidation de saint Etienne et la conversion de Saül sur le chemin de Damas, tandis que la seconde relate le prosélytisme de Paul et Barnabé confronté à l’opposition des Juifs et des païens, le départ de l’apôtre de la communauté d’Ephèse puis son martyre. D’inspiration inégale sur plus de deux heures, l’œuvre pâtit d’une discontinuité de l’action, notamment dans la seconde partie, plus faible. Mais Robert Schumann ne recommandait-il pas de la juger avec une extrême indulgence, eu égard à la jeunesse de l’auteur.
A la demande de Stephan MacLeod, fondateur de Gli Angeli qui assume ici la partie de basse, Leonardo Garcia Alarcon, qui la dirige en ce mercredi 12 juin au Victoria Hall, en fait oublier les inégalités par le souffle dramatique inextinguible qu’il insuffle à la partition et l’époustouflante précision avec laquelle il galvanise la quarantaine d’instrumentistes émanant de l’Orchestre de Gli Angeli renforcé par plusieurs étudiants de la Haute Ecole de Musique de Genève. L’Ouverture en donne la preuve immédiate par cet élan de ferveur enveloppant le choral « Wachet auf, ruft uns die Stimme » puis par l’allegro fugué aux accents grandioses. Intervient ensuite le Chœur de Gli Angeli, remarquablement équilibré au niveau de ses registres et produisant une sonorité compacte remarquable, alors qu’il ne comprend que… dix-sept chanteurs, ce qui prouve l’indéniable qualité de chaque voix. Ainsi le chœur « Herr ! Der Du bist der Gott » tient de la profession de foi que corrobore en demi-teintes le choral « Allein Gott in Höh’ », tandis que le peuple hurle sauvagement à l’encontre d’Etienne « Steiniget ihn ! ». Une partie des chanteurs se faufile dans le parterre latéral pour le choral « Dir, Herr, dir will ich mich ergeben », en prenant à témoin le spectateur de son affliction, alors que soprani et alti gagnent le fond de scène pour proclamer les paroles de l’Eternel. Des pianissimi suaves de l’action de grâce, l’on passe ensuite aux éclats jubilatoires ou aux réactions de la foule en furie pour conclure par l’impressionnant final « Nicht aber ihm allein… Lobe den Herren meine Seele ».
Par rapport aux forces chorales, les solistes ne déméritent en rien, à commencer par la basse Stephan MacLeod incarnant saint Paul avec ce timbre racé et cette ligne de chant qui rendent émouvante sa supplique « Gott, sei mir gnädig », péremptoire son intervention « Ihr Männer, was macht ihr da ? », saisissants ses adieux à la communauté d’Ephèse. Matthew Newlin, admiré ici pour son prodigieux Atys au Grand-Théâtre, se charge des interventions de ténor avec cet aigu dardé et ce coloris corsé pour camper à la fois un Etienne sombrant dans le désarroi, un Barnabé amène et un récitant calqué sur les Evangélistes des Passions de Bach. Dans son aria « Jerusalem, die du tötest die Propheten », Sophie Junker fait valoir un grain fruité donnant assise à un aigu fixe que masquent une expression et un engagement de tout instant. Malgré un bas medium sourd, Marianne Beate Kielland se charge des quelques interventions de mezzosoprano, alors que le jeune Romain Favre est une excellente basse II.
Au terme de cette magnifique exécution, le public trop clairsemé acclame l’ensemble du plateau à grand renfort de hourras.
Deux jours plus tard, l’accueil des spectateurs est tout aussi enthousiaste pour un programme Michael Haydn /Mozart qui n’atteint pas les mêmes sommets, même si trois des solistes sont identiques et que l’ensemble vocal et instrumental de Gli Angeli est animé d’un enthousiasme toujours aussi communicatif.
Ecrite par le plus jeune frère de Joseph Haydn, la Missa sub titulo sancti Francisci Seraphi émane d’une commande de l’impératrice Marie-Thérèse en l’honneur de son époux, François Ier de Habsbourg-Lorraine et fut terminée juste à temps pour être créée à Vienne le 4 octobre 1803. D’une longueur inaccoutumée, elle comporte les traditionnels Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus et Agnus Dei mais sépare en plusieurs éléments le Gloria et le Credo. Elle recourt fréquemment aux parties fuguées, ce que démontre la dernière section du Kyrie, tandis que la première tient de l’imploration, la seconde, de l’aria vocalisante pour soprano solo. Marie Lys peine d’abord à équilibrer un grave trop faible par rapport à l’ensemble de sa tessiture face aux voix et instruments de Gli Angeli que dirige Stephan MacLeod. Du pupitre, celui-ci s’empresse de rejoindre le rang des solistes pour les séquences en quatuor sollicitant en outre Marianne Beate Kielland et Matthew Newlin. Mais le soprano stabilise son émission, ce qui lui permet de négocier avec aisance les passaggi du « Quoniam tu solus sanctus ». Le Credo et le Sanctus sont emportés par une effervescence jubilatoire du choeur qui cède le pas devant un sublime « Et incarnatus est » des soli dialoguant avec le violoncelle ou devant un Benedictus irradié par les envolées lyriques du soprano et de la basse. L’Agnus Dei dégage une intense ferveur culminant dans la stretta du « Dona nobis pacem ».
En seconde partie, le Requiem en ré mineur K.626 de Mozart voit son Introitus ponctué par le staccato des cordes soutenant la déploration chorale débouchant sur le fugato rapide du Kyrie aux phrasés nuancés. Le Dies irae doit sa véhémence anguleuse au souffle tragique qui sous-tend le geste de Stephan MacLeod déclamant ensuite le Tuba mirum, suivi du Mors stupebit claironnant du ténor et des supplications terrorisées du mezzo et du soprano. A la pointe sèche sont élaborés le Rex tremendae majestatis et le Confutatis maledictis s’édulcorant avec le subito piano du « Salva me, fons pietatis » et du « Voca me cum benedictis ». Sous de véhéments contrastes et de coloris et de dynamique s’enchaînent Offertorium, Sanctus et Agnus Dei pour parvenir à un Lux aeterna vecteur des ultimes élans de ferveur.
Aux spectateurs emplissant la salle pour applaudir ce chef-d’œuvre, Stephan MacLeod adresse quelques phrases émues à la suite de la disparition d’Eric Tappy qui a soutenu tant sa formation que sa volonté de promulguer l’esthétique baroque. Les choristes rejoignent alors les extrémités latérales du parterre pour communier avec le public en reprenant un Lacrimosa à fendre le cœur…
Genève, Victoria Hall, les 12 et 14 juin 2024
Crédits photographiques : Bouchra Jarrar