A Genève, Mozart chez les baroqueux  

par

Au terme d’une saison extrêmement diversifiée, le Service Culturel Migros invite le Freiburger Barockorchester à donner trois concerts à Genève, Berne et Zürich. Depuis plus de trois décennies, la formation défend le répertoire baroque et classique sur des instruments anciens. 

Sous la conduite du premier violon Gottfried von der Goltz, le programme entièrement consacré à Mozart commence par la 25e Symphonie en sol mineur K.183. Une fois passées les premières mesures où l’oreille finit par s’habituer à ce son acide produit par les cordes, l’on prête attention à un jeu finement articulé qui recherche les moindres contrastes de phrasé pour répondre aux hautbois et cors empreints de mélancolie. En un pianissimo opaque, les premiers violons recourant aux sourdines déroulent un Andante intériorisé que bousculera le rapide Menuetto débouchant sur un Trio où les vents semblent chercher leur route. Et le Final est un Presto où les lignes s’entrelacent en une tension presque suffocante.

L’ensemble se retire sur la pointe des pieds pour céder la place au pianiste Kristian Bezuidenhout qui paraît devant un instrument d’époque pour converser avec l’altiste Corina Golomoz et le clarinettiste Lorenzo Coppola. Et c’est lui qui empoigne un micro pour présenter avec un humour cocasse le Trio en mi bémol majeur K.498 qui aurait été écrit durant une partie de quilles en août 1786. Et c’est lui aussi qui confère à l’Andante initial sa portée expressive, alors que ses partenaires semblent s’interroger sans trouver la réponse. Plus extérieur, le Menuetto voit la clarinette cultiver les effets de surprise en jouant au chat et à la souris avec l’alto, avant de conclure par un Final où les antagonistes trouvent un terrain d’entente, tandis que le clavier est relégué au second plan par son ornementation en filigrane.

Ce dernier élément constituera le nœud du problème dans le célèbre Concerto en mi bémol majeur K.271 écrit en janvier 1777 pour la virtuose française Mlle Jeunehomme. Tandis que le Freibuger Barockorchester élabore un canevas nuancé, le fortepiano de Kristian Bezuidenhout produit un son grêle sur des basses de casserole avec une inanité expressive dans le medium qui pousse tout connaisseur de l’œuvre à recomposer dans sa tête ce qu’il n’entend pas, en dépit de sa bonne volonté mise à rude épreuve. Au terme de cette exécution, restant sur sa faim comme un dilettante confronté à une aria d’opera seria dont il n’aurait perçu que l’accompagnement, l’auditeur se dit à lui-même que le soliste méritait ô combien d’être réellement entendu !

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, 21 mai 2023

Crédits photographiques : Marco Borggreve 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.