La première édition du Festival Angers Pianopolis

par

Ruines - Pascal Quignard et Aline Piboule

La toute première édition du Festival Pianopolis vient de se terminer le 21 mai dernier. Le Festival, initié par Nicolas Dufetel, musicologue et adjoint à la culture et au patrimoine à la mairie, met l'accent sur les lieux historiques de la ville, jusqu’alors peu ouverts au public. Les grands noms de la musique classique et les jeunes musiciens du Conservatoire prennent quotidiennement leurs parts pendant les quatre jours où tous les concerts se jouaient à guichets fermés.

Au commencement, il y eut le projet d’« Angers pousse le son », une série de concerts sans public captés sur des lieux patrimoniaux de la ville, pendant la période de fermeture des salles de concerts. Diffusés sur internet de 2020 à 2022, ces films ont fait revivre les murs emblématiques multicentenaires : le cloître, la chapelle et les greniers Saint-Jean, l’abbaye de Ronceray, le couvent de Beaumette, le château d’Angers… Les artistes de la musique classique, souvent jeunes, dont Alexandre Kantorow, Thibaut Garcia, Félicien Brut ou Astrig Siranossian, pour ne citer qu’eux, ont côtoyés, au fil des diffusions, d’autres genres musicaux : chanson, pop, jazz, tzigane…

À l’occasion de cette première édition du festival, certains d’entre eux ont retrouvé physiquement leur public. Ainsi, le dernier jour, aux greniers Saint-Jean, Alexandre Kantorow et Aurélien Pascal en duo, puis Bertrand Chamayou en solo, ont enflammé la salle pleine à craquer, avec leur virtuosité mais aussi et surtout leur musicalité exceptionnelle. Malgré leur jeune âge (ils ont à peine 50 ans à deux), le duo frôle le sommet. Leur incarnation musicale, dans la première Sonate de Brahms tout au début du programme, est telle qu’on aurait dit qu’ils jouaient déjà ensemble depuis des heures. Il y a un lyrisme incontestable dans leur sonorité, une spontanéité haletante dans une mise en place parfaite… Dans la Sonate de Grieg, ils réalisent une véritable tapisserie sonore. En effet, l’idée de tissage est absolument juste, par la spatialisation acoustique qu’ils adaptent au fur et à mesure, en fonction du retour du son. Tout naturellement, cela fait écho à la Teinture de l’Apocalypse du Château d’Angers mais aussi aux tapisseries modernes de Jean Lurçat dont une est à vue, derrière la scène. Avec une telle maîtrise, il n’est aucunement exagéré de dire que c’est l’une des meilleures formations actuelles de violoncelle-piano au monde. Au milieu du programme, Alexandre Kantorow joue en solo quelques Lieder de Schubert transcrits par Liszt où il fait montre de son art des plans, des coloris et des tons. Les couleurs s’entendent clairement à travers son interprétation et c’est précisément l’un des caractères superlatifs de son jeu.

Dans un programme Liszt-Ravel portant sur la thématique de l’eau (Jeux d’eaux à la villa d’Este, Jeux d’eau, Une barque sur l’Océan…) mais aussi de l’au-delà (Pavane pour une infante défunte, Oiseaux triste, Après une lecture de Dante…), Bertrand Chamayou transcende le temps et l’espace grâce à un seul médium : le piano. Il explore toutes les possibilités pianistiques, de la douceur languissante de la Pavane aux éclats scintillants des Jeux d’eau et Jeux d’eau de la villa d’Este, en passant par les échos mystérieux de la Vallée des cloches et la légèreté virevoltante des Nocturelles. Avec Après une lecture du Dante, qui clôture le récital, on assiste à un véritable livre ouvert aux récits et aux illustrations kaléidoscopiques. En alternant des pièces de Liszt et de Ravel, Chamayou met en évidence non seulement les inspirations des compositeurs mais aussi une dimension qui va au-delà du seul domaine de la musique. Philosophique, oui, et surtout humaine, son interprétation captive les esprits. En bis, le Prélude en la mineur de Ravel, puis, Tarentelle de Liszt. Il est absolument étonnant de voir que le pianiste a encore des ressources physique et musicale après un magistral Après une lecture de Dante… Décidément, Bertrand Chamayou est un véritable phénomène à lui seul !

Ces deux derniers concerts furent des symbolisations de la musique à l’état pur, mais on ne peut pas ne pas mentionner le concert-lecture « Ruines », avec Aline Piboule et Pascal Quignard, le samedi 20 mai à l’Abbaye du Ronceray dont l’espace fera objet d’une importante restauration en vue de son ouverture dans deux ans comme un lieu de culture et de rencontre.

L’écrivain lit lui-même ses textes sur différents états et notions de ruines : ruines des monuments historiques, de l’université de Vincennes, de l’île de Pâques, « ruines de son rêve » de Schumann pour Clara, ceux des bombes atomiques… La lecture alterne avec des extraits musicaux qui illustrent les mots, et même au-delà. Si les mots sont conceptuels par définition, la musique touche directement les cordes sensibles ; et les marteaux avec lesquels la pianiste frappe nos cordes sont si mystiques (Adès), si bienveillants (Bach), si hypnotisants (Mompau), si heureux (Fauré), si beau (Schumann) mais aussi si terrifiants (Greif)… Saisis par la profondeur des propos musicaux, nous ne sortons pas indemnes. Quelle artiste qu’est Aline Piboule ! À quelle hauteur elle nous emmène ! C’est une véritable expérience, surtout quand on la vit dans l’Abbaye de Ronceray dont le décor se prête parfaitement à la mise en situation.

Nous avons également entendu William Christie et Justin Taylor dans un programme à deux clavecins, avec notamment des œuvres de Gaspard Le Roux dont on ne connaît presque rien ; ainsi que « Paroles de femmes », le programme avec lequel Natalie Dessay et Philippe Cassard réalisent une importante tournée. Chacun de ces concerts, unique, offre un immense plaisir d’immersion musicale en l’espace d’un week-end, un week-end enchanteur.

Au cours de la conférence de presse tenue après le dernier concert, il a été annoncé qu’Alexandre Kantorow prendra la direction artistique dès l’édition prochaine.

Victoria Okada

Photos © Jean-Patrice Campion / Ville d’Angers

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