L’Orchestre de la Suisse Romande à la veille d’une tournée en Extrême-Orient

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Du 4 au 20 avril prochains, Jonathan Nott et l’Orchestre de la Suisse Romande vont entreprendre une longue tournée en Asie et donner des concerts à Pékin, Shanghai, Séoul, Tokyo, Nagoya et Osaka. Leurs deux programmes ont d’abord été présentés au Victoria Hall au cours de deux soirées, les 27 et 28 mars. Le premier juxtapose Debussy, Stravinsky et Dukas, le second, Mendelssohn et Mahler.

Le premier a une saveur quelque peu âpre, en proposant Jeux, le poème dansé que Claude Debussy avait élaboré pour les Ballets Russes entre l’été 1912 et le début 1913. Cette partition complexe, Jonathan Nott l’aborde dans une mystérieuse lenteur où se dessinent plusieurs motifs jouant sur la richesse des timbres, avant qu’une vrille ne produise une première phrase mélodique, aussi souple que la balle de tennis que s’échangent les trois partenaires de l’argument. Chaque segment acquiert un caractère par l’emploi d’un rubato subtil, tandis que les bois élaborent un motif de choral qui finira par se diluer aussi énigmatiquement que le début. Puis est présentée une page de jeunesse, mal-aimée par son auteur, la Fantaisie pour piano et orchestre en sol majeur, écrite entre 1889 et 1890, ayant pour soliste le jeune Jean-Frédéric Neuburger. L’introduction orchestrale, ployant sous la mélancolie, est irradiée par les trilles du clavier, révélant un jeu puissant qui se veut sensible aux notes pointées mais qui manque singulièrement de brillant, impression qui s’atténue avec le Lent, élégiaque par les arpèges perlés ; les giboulées de notes rapides lancent un finale où les traits martelés provoquent une exubérance modérée. En bis, le pianiste révèle ses limites en négociant dans une lourdeur pâteuse deux des Préludes op.28 de Chopin, les numéros huit en fa dièse mineur et treize en fa dièse majeur.

La seconde partie comporte en premier lieu une page du Stravinsky néo-classique, la Symphonie en trois mouvements datant de 1942. Le chef y accentue la véhémence du trait, en mettant en exergue l’élément rythmique constitué par le piano et la note humoristique glissée par les bois. L’esprit de la pantomime émanant de la clarinette habite un andante plus contemplatif, irisé par les violons, que la marche éléphantesque du finale broiera sous de virulents accents. Le contraste établi par la dernière place est d’autant plus cinglant, puisqu’il s’agit du célèbre Apprenti sorcier de Paul Dukas, évoqué ici dans une ironie sournoise que symbolisera le basson-balai, déclenchant les vagues orchestrales, l’engloutissement passager et le persiflage en pied de nez conclusif.

Quant au deuxième programme, il débute par le non moins fameux Concerto en mineur op.64 de Mendelssohn qui a pour soliste une violoniste japonaise de vingt-deux ans, Ayana Tsuji, exhibant une technique éblouissante et une sûreté de l’aigu notoire. Même si le canevas orchestral est plutôt souple, le medium et le grave manquent de consistance, ce qui prive de souffle la cantilène de l’andante et les traits virtuoses du finale, à la sonorité trop étriquée.

De tout autre niveau est l’exécution de la Sixième Symphonie en la mineur de Gustav Mahler, édifiée entre 1903 et l’été 1904. Jonathan Nott en souligne le tragique en accusant le côté péremptoire de la marche initiale avec sa fierté de ligne qu’aseptiseront le choral des bois puis l’évocation de l’épouse, Alma Mahler, empreinte d’une apparente sérénité. Le Scherzo devient cynique sous la houle des cuivres, alors que le trio est un ländler hésitant par ses subtils ‘rallentandi’. Tandis que les cloches de vaches brossent un arrière-plan champêtre, l’Andante est une méditation douloureuse, chantée par un cor anglais voilé de larmes. Le Finale ramène inéluctablement le drame qui sourd de ’glissandi’ de harpes et de cordes murmurantes sous la tenue des bois. Mais le vaste thème de cordes fait éclater la tragédie qu’amplifieront les fanfares de cuivres et les ‘Hammerschläge’ broyant la destinée de l’artiste. Et le chant funèbre de la défaite, entonné par les trombones sur fond de timbales, s’achèvera sur un pizzicato de cordes, comme un peu de terre jetée sur une tombe…

A percevoir la réaction du public, c’est assurément par cette œuvre monumentale que l’OSR produira un effet considérable sur les publics d’Extrême-Orient.

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, les 27 et 28 mars 2019

Crédits photographiques : Carole Bellaiche

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