A Genève, un chef et un soprano pour Il Pirata

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Depuis plusieurs années, le Grand-Théâtre de Genève propose, une fois par saison, un ouvrage lyrique en version de concert. A été choisi, cette fois-ci, Il Pirata, le troisième opéra et le premier succès de Vincenzo Bellini. Pour rendre justice à cette partition difficile, il faut d’abord un chef de théâtre : pour la première fois l’on a fait appel au maestro milanais Daniele Callegari qui collabore avec l’Orchestra Filarmonica Marchiagiana, débutant aussi en ce lieu, en montrant d’emblée ce que signifie être une formation lyrique sachant se mettre en seconde place lorsque le chant l’exige. Quelle leçon pour les instrumentistes qui oeuvrent d’habitude dans cette fosse ! Ici, la baguette assouplit le phrasé pour ‘avancer’ constamment et user du rubato avec un geste clair que suivent aisément tant les divers pupitres que le Chœur du Grand-Théâtre de Genève, préparé par Alan Woodbridge ; et même un ritenuto approprié permet à la voix de soprano d’exécuter l’insidieux ‘passagio’ vocalisé sur « scoppia il cor » dans le Premier Finale.

 

A sa création à la Scala de Milan le 27 octobre 1827, ce Pirata bénéficia d’une distribution exceptionnelle incluant le soprano Henriette Méric-Lalande, le ténor Giovanni Battista Rubini et le baryton-basse Antonio Tamburini. De nos jours, la difficulté majeure réside dans le fait de trouver le tenore drammatico di agilità en mesure d’affronter la tessiture meurtrière de Gualtiero lui assignant nombre de ‘contre-ut’ et ‘contre-ré’ dès sa scène d’entrée « Nel furor delle tempeste ». Nul ne sait comment le créateur du rôle produisit ces notes extrêmes ; selon Rodolfo Celletti, grand spécialiste de la ‘vocalità’, il bénéficiait de l’extension hors du commun du registre de ‘falsetto’, ce qui lui permettait d’émettre des aigus brillants à pleine voix. Aujourd’hui, avec un diapason beaucoup trop haut, vouloir les concocter tient de la mission périlleuse ; et le ténor américain Michael Spyres, applaudi à l’Opéra-Comique dans La Muette de Portici et Le Pré-aux-Clercs, respecte scrupuleusement le texte, quitte à chanter des suraigus désagréablement stridents. Mais dès le duetto avec Imogene, « Tu sciagurato ! Ah ! fuggi », le timbre affiche un coloris beaucoup plus homogène grâce à un phrasé magistral. Mais la palme du succès lui est dérobée par la jeune soprano palermitaine Roberta Mantegna incarnant Imogene ; en seconde distribution à la Scala à la fin juillet 2018, elle reprenait le rôle à Sonya Yoncheva, totalement à contre-emploi dans ce répertoire. Dans sa ‘scena’ initiale, « Sorgete ; è in me dover… Lo sognai ferito, esangue », la voix révèle une qualité de texture plutôt sombre et une maîtrise consommée de la coloratura qui lui concède de négocier aisément le redoutable ‘passaggio’ « Quando a un tratto il mio consorte ». Puis l’expression dramatique croît jusqu’à une scène finale où le declamato « Oh ! s’io potessi dissipar le nubi » et la cavatina « Col sorriso d’innocenza » atteignent un paroxysme d’émotion qui se métamorphosera en fureur vengeresse dans la cabaletta « Oh, sole ! ti vela di tenebre oscure ». Quant au personnage d’Ernesto, Duc de Caldora, il est confié au baryton Franco Vassallo qui s’y avère bien plus convaincant que dans ses incarnations verdiennes où il force trop souvent le trait ; car ici, dès son « , vincemmo, e il pregio io sento », la conduite de la ligne de chant est bien meilleure et son cantabile, plus fluide, notamment dans les traits de doubles croches de son duetto avec Imogene. Roberto Scandiuzzi a toujours l’autorité d’élocution pour conférer noblesse à l’ascète Goffredo, tandis qu’Alexandra Dobos Rodriguez et Kim Hun assument correctement les seconds plans. Au terme de ce concert, les spectateurs manifestent bruyamment leur enthousiasme !

Paul-André Demierre

Genève, Grand-Théâtre, 22 février 2019

Crédits photographiques : Daniele Callegari

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