A Genève : un Fidelio déroutant

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Albert Dohmen (Rocco), Manuel Günther (Jaquino), Detlef Roth (Don Pizarro), Günes Gürle (Don Fernando), Elena Pankratova (Leonore) et Christian Elsner (Florestan) © GTG / Carole Parodi

Le Grand-Théâtre de Genève achève sa saison avec Fidelio dans une mise en scène surprenante de Matthias Hartmann, des décors de Raimund Orfeo Voigt et des costumes de Tina Kloempken. Le premier acte nous confronte aux murs verdâtres d’une prison contemporaine avec, sur la gauche, une salle de douches, au fond à droite, un bureau avec des écrans de contrôle descendant des cintres ; et c’est du sol qu’émergera une geôle gigantesque, avec des mains s’accrochant désespérément aux barreaux. La déclaration de Don Pizarro s’effectue devant une tribune agrémentée de gerbes de fleurs, auxquelles s’attaque incessamment l’orateur, avant de les relever, Dieu sait pourquoi. Par contre, le second acte a un impact saisissant, tandis que, sous le regard du spectateur, se creuse un fossé d’une quinzaine de mètres où croupit le malheureux Florestan ; sur les contreforts viendra se masser le peuple proclamant l’avènement de la liberté. Quel dommage que le ténor Christian Elsner qui campe Florestan soit totalement dépassé par un rôle dont il est incapable de négocier les aigus dans une assise rythmique défaillante. Le baryton Detlef Roth, souvent entendu à Genève dans les personnages wagnériens, est un Pizarro tout aussi peu convaincant, car lui fait totalement défaut la consistance du medium et grave. Par contre, Elena Pankratova a l’ampleur des moyens et la rondeur de son qui font d’elle une véritable Leonore. Albert Dohmen a derrière lui une longue carrière dans le répertoire wagnérien ; même si le timbre a perdu de son éclat, il impose son Rocco par l’humanité bouleversante de la composition. La jeune Sioban Stagg possède le rayonnement d’une Marzelline pimpante, qualité que partage son soupirant éconduit, le Jaquino de Manuel Günther. Et le Chœur renforcé du Grand-Théâtre de Genève (préparé par Alan Woodbridge) est remarquable, alors que, dans la fosse, Pinchas Steinberg, retrouvant l’Orchestre de la Suisse Romande dont il a été le directeur musical pour quelques saisons, s’ingénie à jouer la carte de la précision sans chercher à innerver le discours d’un souffle dramatique indomptable.

Paul-André Demierre
Genève, Grand-Théâtre, le 10 juin 2015

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