À Hardelot, un dimanche Heureux avec Ensembles Artifices et Tictactus

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Entouré de la réserve naturelle du marais de Condette, un château néo-Tudor du XIXe siècle se dresse paisiblement. Face à cet édifice aux murs blancs, un peu plus loin, un autre bâtiment, circulaire et tout en bois, se fond dans l’environnement. C’est le théâtre élisabéthain, unique en France, inauguré en juin 2016. C’est là qu’ont lieu les concerts du soir du Midsummer Festival.

Henry Guy, un Anglais installé à Hardelot, élit domicile en ce lieu entre 1872 et 1893. À sa mort en 1986, John-Robinson Whitley, co-fondateur du Touquet-Paris-Plage (où est organisé depuis 11 ans un festival dédié au piano), souhaitait créer une nouvelle station balnéaire. En 1904, l’Entente cordiale entre l’Angleterre et la France fut signée. Whitley décida alors d’en faire d’Hardelot un symbole et reçut notamment la visite d’Edouard VII et de son épouse Alexandra au château dont les fondations datent du XIe siècle. Plus récemment, la bâtisse a fait l’objet d’importants travaux de réhabilitation et ses portes ont été ouvertes au public il y a 10 ans. Pour ce haut lieu d’échange franco-britannique, devenu depuis 2009 le site du Centre culturel de l’Entente cordiale, Sébastien Mahieuxe, actuel directeur du Midsummer Festival, a lancé la création d’un théâtre de style élisabéthain, en parfait accord avec l’histoire et le style du château ainsi que la programmation, essentiellement baroque, du festival qui a également 10 ans. Le théâtre n’est élisabéthain que dans l’esprit et le principe. Mais il a déjà bâti une solide réputation par son excellente qualité acoustique et sa conception qui lui a valu le prix « meilleure construction en bois dans le monde » par World Architecture News en 2017.

Sébastien Mahieuxe ne se contente pas d’offrir des concerts par des ensembles renommés dans ce théâtre de 400 places environ. Il diversifie des formules, explorant le jardin et la zone maraicageuse environnante, pour que le plaisir de la musique baroque puisse être partagé sans a priori et par tous. Ainsi, durant 3 week-ends (cette année, le Festival s’est déroulé du 14 au 29 juin), les grandes soirées au théâtre élisabéthain sont précédées ou suivies, selon les jours, de « Music and cup of tea » (concert à petit format de 45 mn le samedi à l’heure de thé), d’« Ouvrez les oreilles ! » (clés d’écoute pour le concert du soir par des artistes), d’« After » ou de « dimanches heureux » (balades en musique, contes en plein air, ateliers, spectacles pour les jeunes…). À côté de ces événements, des promeneurs et des joggeurs poursuivent leurs parcours et des habitants de la région ouvrent leur pique-nique sur la pelouse du Château ou s’allongent sur des transats au motif synthèse des deux drapeaux français et anglais.

Promenade musicale avec des oiseaux

Nous avons passé tout le dimanche 23 juin à Hardelot. La balade musicale a débuté à 10 heures 30. Le guide Anthony Codron, quelques volumes présentant des oiseaux à la main, nous accompagne tout au long de la matinée. La promenade est animée par deux musiciens de l’Ensemble Artifices, la violoniste Alice Julien-Lafferrière et le flûtiste Matthieu Berthaud. Vêtus de costumes rustiques et d’un chapeau de paille, tantôt ils nous précèdent en indiquant le chemin, tantôt ils nous arrêtent pour le temps d’une musique. Chaque pièce jouée imite des chants d’oiseaux : Coucou de Daquin, Canaries de Lully et de De Lalande, Le Rossignol en amour de F. Couperin, Le Caquet de Dandrieux, Les Ramage de Rebel… et même Le Cygne de Saint-Saëns arrangé pour leurs instruments. Les imitations se confondent avec les vrais chants d’oiseaux qui offrent leurs propres concerts dans les arbres ; pour ne pas brusquer les petites créatures, on agite les mains au lieu d’applaudir ! Ces agréments musicaux sont parfois ponctués de courts textes relatant observations ou définitions plus ou moins drôles de tels ou tels oiseaux, d’auteurs connus (comme Buffon) ou inconnus. Ce programme, issu d’un travail mené par la violoniste sur plusieurs années autour de l’imitation dans le langage violonistique, est à l’origine de l’Ensemble Artifice. Ingénieusement construit, poétique et interactif, il nous permet d’aborder la musique baroque autrement et, en plus, nous revenons revigorés !

Jardin de métamorphoses, bois de nymphes

Dans l’après-midi, l’Ensemble Artifice reprend certaines pièces du matin pour un autre spectacle, « Le chant des oiseaux », dans une partie ombragée du jardin du château. La conteuse Françoise Barrat arrive un peu plus tard pour raconter quelques histoires tirées de Métamorphoses d’Ovide. Son art de conter est tendre comme une mère qui raconte des histoires à ses enfants, et vivace comme un sage du village partageant une légende avec tant d’expressions. Les deux musiciens et la diseuse alternent leurs parties avant de laisser à celle-ci l’entière parole. Françoise Barrat enchaîne alors plusieurs contes. Fluides, expressifs et rythmés, ses contes prennent des ailes comme pour s’envoler dans le ciel de l’imagination.

Au début de la soirée, les deux mêmes musiciens rejoignent l’Ensemble Tictactus et la mezzo-soprano Lucile Richardo au théâtre élisabéthain pour le concert « Dans le bois des nymphes ». La thématique des oiseaux fait la part belle dans le programme : Le Concert de différents oyseaux d’Etienne Mouliné, Se l’Aura spira de Frescobaldi, Sonata L’Hermaphrodite, le mariage entre la poule et le coucou forme un beau concert de Marco Uccellini (dont le nom signifie « petit oiseau » !) avec la participation vocale de tous les musiciens, ou encore Il Festino nella sera del Giovedi grasso avante la Cena, Capricciata e Contraponto bestiale alla mente de Banchieri… Tout cela agrémenté de beaucoup d’onomatopées imitant des oiseaux. Et même une touche d’érotisme avec Ego flos campi de Monteverdi. Avec son sens théâtral connu et reconnu, la mezzo-soprano Lucile Richardot aborde ces chansons et airs de manière extrêmement vivante, sa voix se métamorphose et s’adapte à merveille à chaque partition souvent drôle. Avant de chanter un air, elle fait un résumé des paroles avec toujours une note d’humour. Voilà encore une façon de rendre la musique baroque accessible et, surtout, humaine et proche de nous.

Crédits photographiques : J.Championnet et M.Argyroglo

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