Le« Requiem » de Mozart et « Tosca » de Puccini au festival d'Aix-en-Provence : servir et desservir
Les deux premières productions du Festival d’Aix-en-Provence sont très révélatrices du rôle que jouent les metteurs en scène : donner à voir, à mieux comprendre ou à comprendre autrement les mots et les notes d’une œuvre. Ils se mettent au service de l’œuvre, mais il arrive aussi qu’ils la desservent.
Romeo Castellucci nous propose une lecture inattendue mais bienvenue du Requiem de Mozart, dont il faut d’abord se rappeler qu’il n’est pas une œuvre scénique. Mais de nos jours, la tendance est à mettre en scène des oratorios ou autres œuvres du genre. On connaît le talent de Romeo Castellucci, la radicalité de ses interpellations scéniques. Pour le meilleur et pour le pire. Il nous a émerveillés, il nous a aussi prodigieusement agacés.
Son Requiem de Mozart est paradoxalement un hymne à la vie : quelle que soit l’inexorabilité de notre destin, quel que soit celui, tout aussi inexorable, que nous préparons pour notre société humaine, la vie s’impose toujours.
Les notes et les airs sont ceux d’un chant de mort. Exactement servi par l’Orchestre et le Chœur Pygmalion, précisément dirigés par Raphaël Pichon. Ainsi traitées, les notes amplifient ce que les mots disent. Ajoutons que la partition de Mozart est, et c’est une bonne initiative, enrichie notamment de chants grégoriens, célestes.
En contraste, Castellucci développe un autre langage, celui des corps en mouvement, celui d’une scénographie aux multiples suggestions. Il y a la mort inéluctable bien sûr, mais il y a la vie aussi, tout aussi inéluctable.
La mort ? Dans la séquence initiale d’une femme âgée, éteignant sa télévision-images du monde, mordant dans une pomme, buvant une dernière gorgée d’eau, s’allongeant sur son lit, dans lequel, magie, elle s’enfonce et disparaît. Dans une des dernières séquences, fantastique, quand le plancher du décor s’élève lentement jusqu’à la verticale et que glisse inexorablement tout ce qui l’encombre, notamment des amas de terre : « Poussière, tu n’es que poussière ». La mort aussi dans ces phrases projetées qui, litanie sans fin, disent toutes les « extinctions », celles des civilisations, des peuples, des villes, des langues, de la faune et de la flore.
La vie ? Dans des danses dont les interprètes portent de magnifiques costumes de type folklorique, chez cette petite fille littéralement mise en couleurs vives, et surtout à la fin, alors que l’on croit que tout est irrémédiablement consommé, avec l’entrée sur le plateau, vêtues de blanc, de quatre générations de femmes, dont un tout petit bébé. S’élève alors du bord de la fosse, le chant d’un enfant, si fragile et si puissant.
Quant à Christophe Honoré, il séduit d’abord pour décevoir ensuite, définitivement. Son idée : la Tosca de Puccini, dont un des personnages est une diva, est une célébration des grandes chanteuses. Il imagine donc que l’on offre chez elle à une diva âgée un spectacle qui la renvoie à ses heures de triomphe. Celle qui est fêtée est une vraie diva, Catherine Malfitano, célèbre notamment pour l’adaptation cinématographique de Tosca, tournée à Rome en temps réel. Lui fait face une jeune chanteuse, qui s’empare du rôle. Le premier acte répond au désir du metteur en scène. Ensuite, tout se déglingue, multipliant les tics d’une « mise en scène branchée ». C’est horripilant. Heureusement, il y a l’Orchestre de l’Opéra de Lyon et son chef Daniele Rustoni, qui nous offrent une lecture juste jusque dans le moindre détail de la partition et leur conjugaison. Il y a la Tosca d’Angel Blue, mûre dans sa juvénilité. Il y a le Mario de Joseph Calleja, à la virtuosité émouvante. Mais Puccini est desservi.
Crédits photographiques : Serge Mercier / MAXPPP
Stéphane Gilbart