A la découverte de la musique de chambre avec alto de Philipp Scharwenka

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Philipp SCHWARWENKA (1847-1917) : Trio pour violon, alto et piano op. 121 ; Sonate pour alto et piano op. 106 ; Duo pour violon et alto avec accompagnement de piano op. 105 ; Quatre pièces de concert pour violon et piano op. 104. Laurent Albrecht Breuninger, violon ; Lise Berthaud, alto ; Oliver Triendl, piano. 2020. Livret en allemand et en anglais. 72.24. Capriccio C5391.

Il ne faut pas confondre Phillipp Scharwenka avec son frère Xaver, de trois ans son cadet. Ce dernier, pianiste-concertiste, organisateur de concerts, fondateur d’un conservatoire à Berlin puis à New York, est l’auteur d’une méthode de piano, et parmi ses compositions, on relève quatre concertos pour clavier. Celui qui nous occupe ici, c’est Philipp, l’aîné, et il est moins connu. Les frères Scharwenka, allemands d’origine polonaise, sont nés à Samter, à la limite de ce qui était alors la province prussienne de Posen. Philipp étudie à l’Académie de musique de Berlin et y devient pédagogue. Il fonde avec son frère Xaver le Conservatoire Scharwenka en 1881 et participe au projet lorsque ledit conservatoire s’établit en territoire américain. Comme compositeur, Philipp a écrit deux symphonies, de la musique orchestrale, un concerto pour violon, des partitions chorales et pour piano, ainsi que des lieder. Mais aussi de la musique de chambre dont le présent CD Capriccio donne un aperçu. Philipp Scharwenka n’est pas un inconnu au disque puisque l’on peut trouver certaines de ses compositions chez Toccata, MDG ou Acte Préalable, mais ici, c’est le violon alto qui est mis en évidence. 

Philipp Scharwenka fait la connaissance de Hermann Ritter (1849-1926), considéré comme le pionnier de l’alto moderne ; virtuose de l’instrument, Ritter en améliore les performances et lui donne un statut proche de celui du violon et du violoncelle, ce qui pousse une série de compositeurs à écrire pour lui. Scharwenka est du nombre. C’est ainsi que naît à Berlin en mars 1898 le Duo pour violon et alto avec accompagnement de piano op. 105, Ritter étant à l’alto, Marianne Stresow, la femme de Scharwenka (1856-1918) au violon. Cette partition en deux mouvements est un dialogue entre les deux instruments, qui s’expriment dans un contexte qui pourrait être aussi celui d’un échange entre soprano et contralto, le piano ne servant que de support et de mise en lumière. Vu le succès rencontré, Scharwenka écrit dans la foulée sa Sonate pour alto et piano op. 106, donnée en première à Dortmund en mai 1899. Ritter est à l’alto, Moritz Mayer-Mahr (1869-1947) au piano ; ce dernier enseigne alors au Conservatoire Scharwenka. La notice de Michael Wittmann nous apprend que le compositeur a construit cette page en trois courts mouvements comme s’il s’agissait de raconter une histoire imaginaire, en forme de fantaisie, dans un style narratif, caractérisé par des tempi fluctuants. La séduction est présente, c’est d’ailleurs le cas de tous les pièces de ce CD, Scharwenka s’inscrivant dans une ligne qui rappelle Schumann ou Brahms. L’alto y est fort sollicité sur le plan de l’expressivité et du lyrisme, l’œuvre se terminant dans une atmosphère paisible. 

Au tournant du XXe siècle, Scharwenka a acquis une grande réputation en tant que compositeur. En 1913, son Trio pour violon, alto et piano op. 121 est créé à Berlin. C’est encore son épouse, Marianne Stresow qui est au violon, le jeune Albert Stössel (1894-1943), qui fera carrière de chef d’orchestre aux Etats-Unis, est à l’alto, et Erna Klein au piano. C’est une œuvre de nature élégiaque, proche du Brahms tardif, aux mélodies finement dessinées et aux rythmes mesurés. Le programme du CD est complété par les Quatre pièces pour violon et piano op. 104 de 1898, une série où l’on devine une inspiration de mélodies polonaises. Comme le dit avec justesse l’auteur de la notice, il s’agit d’une agréable musique de salon, impression ressentie tout au long d’un parcours que l’on peut considérer comme hybride, dans la mesure où il est destiné à mettre en valeur le violon alto, mais aussi le talent de l’épouse du compositeur. Voilà en tout cas de la musique de chambre bien écrite, dans la ligne du romantisme, qui plaira aux amateurs du genre.

L’altiste française Lise Berthaud, née en 1982, a étudié avec Pierre-Henri Xuereb et Gérard Caussé. Cette artiste au jeu élégant a enregistré notamment des pages de Schumann et Fauré avec Eric Le Sage ou de Brahms, Schubert et à nouveau Schumann avec Adam Laloum. Au violon, on retrouve l’Allemand Laurent Albrecht Breuninger, né en 1968, deuxième lauréat du Concours Reine Elisabeth en 1997 derrière le Danois Nikolaj Znaider. Breuninger a notamment enregistré l’œuvre complète d’Eugène Ysaÿe pour le violon, ainsi que celle d’Enesco. Le pianiste Oliver Triendl, né en Bavière en 1970, est à la tête d’une imposante discographie de plus d’une centaine de CD : il s’est intéressé au répertoire peu joué des périodes classique et romantique, mais aussi aux créateurs de notre temps. Les trois artistes sont en symbiose dans ces partitions de Scharwenka qui sont souvent en demi-teinte et incitent à la rêverie. L’enregistrement a été effectué à Berlin, dans la Jesus-Christus-Kirche, du 23 au 26 janvier 2018. Pour amateurs de partitions peu courantes…

Son : 9  Livret : 9  Répertoire : 8  Interprétation : 10

Jean Lacroix   

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