A la Philharmonie de Paris : London Calling
Boulez, Benjamin, Brahms. Triple B pour une soirée avec un grand S, et un casting anglo-saxon cinq étoiles : Sir Simon Rattle et le London Symphony Orchestra, avec une certaine Barbara Hannigan en guest. Bref, la promesse d’un sacré moment.
Boulez joué à domicile
Eclat (1965) était la première pièce donnée ; une petite dizaine de minutes de travail sur les timbres, avec quinze instruments. Et rien que pour entendre glockenspiel, harpe, célesta, mandoline et cymbalum sur la même scène, ça vaut le détour. L’une des nombreuses spécificités de ce morceau réside quand même, il faut le dire, dans la circulation imprévisible du son, qui erre nerveusement de pupitre en pupitre, sans que l’on ait toujours le temps d’identifier quel instrument joue. Expérience singulière, vous en conviendrez, que de voir des timbres aussi irréductibles se confondre. On aurait tout de même apprécié un calme olympien pour cette dentelle sonore – on eut plutôt droit à cinquante nuances de raclement de gorge. Indice de l’intérêt éprouvé par le public ? Joker.
Picture an evening like this
Quoiqu’il en soit, après ce Boulez bien ardu, on avait soif de phrases juteuses. Arriva à point nommé l’Interludes and Aria de George Benjamin, pièce d’une vingtaine de minutes pour orchestre et soprane créée quelques jours plus tôt à Londres (tirée en réalité de l’opéra Lessons in Love and Violence du même compositeur). Ce morceau trouble, étrange, faisait émerger en son milieu une litanie sauvage exécutée par une Barbara Hannigan transie et bluffante. Un récitatif qui déborde rapidement son propre cadre, à coup de soubresauts, dans une ligne vocale (on n’oserait dire mélodique) folle et heurtée, mais fascinante malgré tout. Au global, la performance reste, même dans les passages purement orchestraux, une expérience étrange et déconcertante. Si vous connaissez le duo Benjamin/Crimp, vous ne serez pas surpris.
Autopilote
On put enfin accueillir la Symphonie n°4 de Brahms (1885). Quarante minutes de très, très belle musique, que le London Symphony Orchestra connaissait sur le bout des doigts – au point que Sir Simon Rattle mimait parfois lui-même le retrait. On passait de délice en volupté, porté par cette élégance qui fait le charme des partitions de Brahms. Tous les ingrédients étaient réunis pour savourer ces thèmes qui se développent subtilement, pour s’émerveiller des rondeurs amples et humbles des cordes, de la force chaleureuse et crépusculaire des tutti. Coup de cœur pour les 1er et 4e mouvements. Bref, grandiose, de A à Z – disons Z bis, car on eut droit à une danse hongroise en supplément. Of course.
Paris, Philharmonie de Paris, 13 janvier 2025
Léon Luchart
Crédits photographiques : © Antoine Benoit-Godet / Cheeese