A la Scala, Valery Gergiev magnifie La Khovantchina

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Depuis mars 1998, la Scala de Milan n’a pas repris La Khovantchina alors qu’elle en a donné neuf productions depuis mars 1926. Il y a vingt ans, Valery Gergiev la dirigeait déjà dans la mise en scène traditionnelle mais ô combien somptueuse de Leonid Baratov.

Aujourd’hui, l’on fait appel au régisseur napolitain Mario Martone qui, dans une notice du programme, déclare : « J’ai essayé d’imaginer l’opéra comme s’il se développait dans un temps futur : futur par rapport à l’époque de Pierre le Grand, futur par rapport au XIXe siècle au moment où Moussorgsky écrivait l’ouvrage, mais aussi futur par rapport à nous qui l’écoutons aujourd’hui. Je voulais rester dans l’Histoire, mais comme si elle se reflétait dans un miroir déformant où l’on pourrait apercevoir Pierre le Grand, Moussorgsky et nous-mêmes ».

Le résultat est-il pour autant convaincant ? Les décors de Margherita Palli, les costumes d’Ursula Patzak, les lumières de Pasquale Mari nous immergent dans une monstrueuse aciérie surveillée par des miradors ; au milieu des ouvriers illettrés se faufile un écrivain public véhiculant ses caisses d’imprimés sur une moto pétaradante. Le Prince Ivan Khovansky, beaucoup trop jeune pour être le père du fougueux Andrey, arbore chemise de clergyman et manteau à col de fourrure quand Marfa porte blouson gris sur jupe et pantalon noirs tandis que Dosifei a l’allure d’un patriarche campagnard. Le favori de la tsarine, le Prince Golytsin, n’a droit qu’à un pavillon délabré dans une clairière décimée par les frimas. Comment imaginer alors que Marfa puisse prédire l’avenir en glissant trois gouttes de cire dans un petit calice et que le ‘vieux’ Khovansky mette les pieds sur la table avant d’échanger de venimeux propos avec son hôte ? Aux abords d’un campement, pourquoi Susanna s’en prend-elle à la même Marfa emprisonnée, Dieu sait pourquoi, dans une cage métallique pour chien méchant ? Le comble du ridicule affecte le premier tableau du quatrième acte : au sommet d’une colline enneigée, les débris d’une gloriette accueillent le potentat qui a relégué au grenier ses esclaves persanes afin de convoquer quatre ou cinq prostituées et se livrer à jeu sadomasochiste qui finira dans le sang puisque la ‘favorite’ le tirera à bout portant. Heureusement, le dernier tableau impressionne par sa lande dénudée ployant sous le gel où s’agenouillent les Vieux-Croyants, tandis qu’une boule de feu devenant gigantesque réduira à néant ce monde condamné à périr. Donc une seule scène mémorable sur cinq actes ! Quel gâchis !

Utilisant la révision de Pavel Lamm orchestrée par Dmitri Chostakovich, Valery Gergiev a remanié lui-même la scène finale. Et sa direction est animée par une ferveur incandescente qui met en valeur le génie de l’écriture dans un long ouvrage composite. Le Chœur, notamment les voix d’hommes, magnifiquement préparé par Bruno Casoni, et l’Orchestre de la Scala secondent admirablement ses efforts.

Sur scène, le Dosifei de Stanislav Trofimov brûle les planches par la qualité de timbre d’une vraie basse chantante au service d’une incarnation toute de pondération et d’autorité. Ekaterina Semenchuk prête à Marfa une richesse de coloris qui nourrit un grave sonore et un aigu incisif tandis qu’elle campe une créature raisonnée se sachant promise à une rédemption libératrice quand son ‘fiancé’, Andrey Khovansky, bourrelé de contradictions, a pour une fois une véritable consistance dramatique sous les traits de Sergey Skorokhodov. L’Ivan Khovansky de Stanislav Trofimov souffre du même défaut que son Boris Godounov de Genève, celui d’être trop jeune pour être convaincant, même si, ici, la régie de Mario Martone aide sa composition d’aristocrate dégingandé, rongé par l’alcool et les vices de la chair. Le ténor Evgeny Akimov réussit à faire ‘exister’ le Prince Golytsin par l’arrogance de l’accent qu’il rend venimeux, ce que l’on dira aussi du Chaklovity péremptoire d’Alexey Markov. Il en est de même des soprani Evgenya Muraveva et Irina Vashchenko profitant d’un aigu solide pour camper une Emma se rebellant contre l’adversité et une Susanna dévorée par un fanatisme borné. Par contre, le ténor Maxim Paster lutte contre des extrémités de tessiture rebelles prétéritant sa composition de l’écrivain public. La jeune basse Maharram Husseynov nous révèle un rôle qui n’existe que dans cette version, celui du pasteur luthérien, que tente de dissuader le Varsonofiev de Lasha Sesitashvili. Et Sergey Ababkin a l’indiscutable morgue du boyard Kuzka.

En résumé, une Khovantchina à se remémorer pour sa valeur musicale mais à jeter à la poubelle pour sa ‘relecture’ scénique !        

Paul-André Demierre

Milan, Teatro alla Scala, le 13 mars 2019

Crédits photographiques :  Marco Brescia & Rudy Amisano

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