Ferdinando Paer, un Rossini du pauvre ?

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Pour le public d’aujourd’hui, qui est Ferdinando Paer ? Qu’a-t-on retenu de sa vaste production lyrique comportant 55 opéras dont Griselda, Camilla, Leonora, Agnese ou Le Maître de Chapelle ? Il y a quelques années, avaient été enregistrés, sous la direction de Peter Maag, une intégrale de la Leonora de 1804 qui a le même sujet que le Fidelio de Beethoven, ainsi que quelques extraits du Maître de Chapelle avec Fernando Corena.

A son époque, Agnese a été l’un des ouvrages les plus représentés un peu partout jusqu’aux années 1840. Répondant à une commande du comte Fabio Scotti pour l’inauguration de son théâtre privé, l’œuvre fut créée le 3 octobre 1809 dans sa villa du Ponte Dattaro aux abords de Parme ; puis elle fit sensation à la Scala de Milan en septembre 1814, en Allemagne et en Autriche, à Londres en 1817, à Paris aux ‘Italiens’ en juillet 1819 avec Joséphine Fodor-Mainvielle et la basse Felice Pellegrini et en janvier 1824 avec Giuditta Pasta. Chopin l’entendit à Varsovie en 1830, avant qu’elle ne s’impose en Russie, au Chili et au Mexique. Puis pendant un siècle et demi, elle disparut jusqu’à la date du 15 février 2008 où l’édition critique établie par le musicologue Giuliano Castellani fut exécutée sous forme de concert à Lugano par Diego Fasolis et les Chœur et Orchestre de la Radio Suisse Italienne. Et onze ans plus tard, c’est lui qui en dirige les premières représentations scéniques à Turin.

Que dire de cette musique ? Elle est caractéristique d’une époque de transition entre la fin de carrière d’un Cimarosa et d’un Paisiello et les débuts d’un Rossini au Teatro San Moisè de Venise lors de la saison de carnaval de 1810. A première écoute, lorsque trois heures de spectacle vous font entendre la partition complète, y compris les adjonctions parisiennes de 1819 et 1824, sa spécificité est peu évidente ; car lui manque singulièrement le génie déployé par l’auteur du Barbiere dans ses ‘opere buffe ‘ et ‘semiserie’.

Par contre, la trame émanant du livret de Luigi Buonavoglia a de quoi surprendre, puisqu’une large partie se déroule dans un asile d’aliénés. Au contraire de la Nina de Paisiello ou des futures Elvira d’I Puritani ou Lucia di Lammermoor, l’état de démence ne concerne pas l’héroïne mais Uberto qui, depuis sept ans, a perdu la raison à la suite de la disparition de sa fille, Agnese, qui fuyait Ernesto, son mari volage. Mais dans la maison de fous dirigée par Don Pasquale, le médecin pressent que la déraison de son patient n’est que passagère et qu’il suffirait de le replacer dans son cadre familier pour que tout basculât. Secondée par Carlotta, la fille du directeur, et par son époux qui a réussi à obtenir son pardon, Agnese joue de la harpe en fredonnant une chanson de son enfance. Lieto fine !

La partition qui la sous-tend révèle une originalité certaine dans quelques pages : la scène d’orage du début, l’emploi du cor introduisant plusieurs ‘arie’, le recours à la clarinette dialoguant avec la flûte pour dépeindre la folie et les deux finales habilement élaborés. Et Diego Fasolis se fait un point d’honneur de la révéler avec cet indomptable enthousiasme et cette vivifiante énergie qu’on lui connaît, entraînant à sa suite les Chœur et Orchestre du Teatro Regio qui répondent inlassablement à toutes ses injonctions.

Sur scène, Maria Rey-Joly s’investit totalement dans le personnage d’Agnese qu’elle rend crédible en soulignant sa candeur innocente, même si le timbre paraît d’abord engorgé avant que le chant orné n’en libère l’éclat. Sous les traits d’Uberto, Markus Werba est tout aussi convaincant ; car son phrasé intelligent sait traduire les atteintes du mal, en laissant affleurer continuellement une palpable émotion. Confronté à une tessiture beaucoup plus clémente que celle du Percy d’Anna Bolena (entendu récemment à Lausanne), le jeune ténor Edgardo Rocha campe Ernesto avec cet art consommé de la ‘coloratura’ pré-romantique dont il est devenu le dépositaire. Au registre bouffe, il faut inscrire le magnanime Don Pasquale de Filippo Morace, alors que sa fille, Carlotta (Lucia Cirillo), partage avec sa suivante, Vespina (Giulia Della Peruta), un dévouement à toute épreuve. Anticipant l’Alidoro de La Cenerentola, Andrea Giovannini prête des allures de vieux sage à Don Girolamo, le médecin.

Quant à la mise en scène de Leo Muscato, elle est efficace, car elle contourne le problème des nombreux changements de tableau en demandant à sa décoratrice, Federica Parolini, de confectionner de gigantesques boîtes métalliques d’où émergeront un sous-bois, un réfectoire, une bibliothèque de direction, une chambre de malade. Et les costumes modernes de Sylvia Aymonino se jouent ironiquement des pensionnaires en pyjama, du personnel soignant échappé de la Croix-Rouge, quand le directeur arbore gilet rouge et redingote grise.

Au rideau final, le public fête cette exhumation et ses interprètes avec enthousiasme. Et il semble que bientôt un DVD restituera ce spectacle pimpant.

Paul-André Demierre

Turin, Teatro Regio, première du 12 mars 2019.

Crédits photographiques : Edoardo Piva

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