A Versailles, retour triomphal de Grétry et de son Richard Cœur de Lion

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André-Ernest-Modeste Grétry (1741-1813) : Richard Cœur de Lion, opéra-comique en trois actes. Enguerrand de Hys (Blondel au CD), Rémy Mathieu (Blondel au DVD), Reinhoud Van Mechelen (Richard), Melody Louledjian (Laurette), Marie Perbost (Antonio, la Comtesse), Geoffroy Buffière (Williams), Jean-Gabriel Saint-Martin (Urbain, Florestan, Mathurin) et six autres solistes du chant. Le Concert spirituel, chœur et orchestre, direction Hervé Niquet. 2019. Livret en français, en anglais et en allemand. Texte complet de l’opéra en français, avec traductions anglaise et allemande. Sous-titres du DVD en français, anglais et allemand.73.18 (CD) ; 87.00 (DVD). Un CD et un DVD Château de Versailles CVS028.

En cette année Beethoven, on célèbre aussi les 250 ans de l’Opéra Royal de Versailles, inauguré le 16 mai 1770, jour du mariage du futur Louis XVI avec Marie-Antoinette. Réouvert en 2009, l’Opéra Royal propose depuis lors une programmation lyrique, musicale et chorégraphique avec des artistes prestigieux, comme en témoigne une passionnante série d’enregistrements. Mais depuis 1789, aucune production intégrale n’y avait été réalisée. C’est désormais chose faite avec la résurrection de Richard Cœur de Lion du Liégeois Grétry, opéra-comique créé à Paris à la Comédie-Italienne le 21 octobre 1784. Grétry, qui s’est installé dans la capitale française dès 1767, y rencontre de beaux succès avec Zémire et Azor, Céphale et Procris, L’Amant jaloux ou La Caravane du Caire. Sa musique est particulièrement appréciée par Marie-Antoinette, à tel point que la Reine va devenir la marraine de sa troisième fille. Pour le malheur de la souveraine, le fameux air Ô Richard, Ô mon Roi du premier acte sera chanté à Versailles par les soldats de la Garde nationale, entraînant la fureur du peuple qui forcera la famille royale à quitter définitivement le château. Sous la Révolution, le même air deviendra aussi un signe de ralliement royaliste. Grétry poursuivra néanmoins sa carrière sans problème, quel que soit le régime en place.

Pour cet opéra-comique, charnière entre la tradition classique et le romantisme, Grétry a bénéficié d’un livret bien construit du dramaturge prolifique Michel-Jean Sedaine (1719-1797) qui écrira pour lui les textes de huit opéras, mais en rédigera aussi plusieurs pour Philidor ou Monsigny. Le sujet est vite résumé : au retour de la croisade en Palestine, le roi Richard est capturé et emprisonné en Autriche. Un de ses fidèles, le troubadour Blondel, déguisé en aveugle, est à sa recherche. Florestan, le gouverneur de la prison où est détenu Richard, est amoureux de Laurette, fille de Williams, partisans de Richard. Il écrit à la jeune femme qu’il ne pourra venir la voir que le soir, car son temps est très pris par un prisonnier. Cette information, marquée du sceau de l’imprudence, intrigue Blondel, qui pense tout de suite à Richard ; elle va entraîner la suite des événements.  La Comtesse Marguerite, proche de Richard, et sa suite font leur apparition ; Blondel lui fait allégeance en chantant un air composé jadis pour elle par le roi, puis va rôder près du château. Il joue la mélodie sur son violon. Richard l’entend, en se promenant sur les remparts, et lui répond. Blondel est fait prisonnier par les gardes, mais arrive à convaincre Florestan de sa bonne foi, grâce à un mot de Laurette l’invitant à le rejoindre. Blondel apprend à la Comtesse la détention de Richard. Le château est attaqué par les officiers du roi, celui-ci est libéré. Florestan pourra quand même épouser Laurette, et le courage héroïque de Blondel sera salué. 

Sur cette trame à composante historique, qui annonce bien des sujets romantiques, Grétry écrit une partition allègre, haute en couleurs et efficacement dramatique qui a connu un énorme succès et a été programmée à de très nombreuses reprises au XIXe siècle avant de tomber quelque peu en désuétude. La direction brillante et vigoureuse d’Hervé Niquet fait briller cette œuvre divertissante. Avec l’enthousiasme communicatif qui est le sien, il galvanise le Concert spirituel qui livre une prestation fascinante du début à la fin. Le label Château de Versailles a eu la bonne idée de proposer Richard Cœur de Lion sous formes audio et DVD dans le même album, écho des représentations d’octobre 2019 à l’Opéra Royal.

Nous avons choisi de débuter par le DVD. Autant le dire d’emblée : la réussite est exaltante. La qualité des images est maximale, le son d’une grande précision et l’on est surpris de voir cette magie versaillaise s’achever après un peu moins de 90 minutes, tant celles-ci ont passé à la vitesse de l’éclair. Et on s’associe à l’ovation délirante des spectateurs qui déferle vers les interprètes.

Le metteur en scène Marshall Pynkoski a transposé l’action du Moyen Age à la période prérévolutionnaire, avec des costumes chatoyants et de bon goût signés Camille Assaf ; ils agrémentent l’œil par une dominante de tons bleus et bruns. La crédibilité des faits ne pose aucun problème, et l’on ne peut s’empêcher de penser que le lien avec la situation de Louis XVI n’est pas pour rien dans le choix de ce déplacement temporel. Les décors d’Antoine Fontaine sont magnifiques : au premier acte, ils rappellent les toiles peintes et les ornementations de l’époque de la construction de l’Opéra Royal et se transforment habilement au second acte en forteresse de style gothique. C’est un bonheur pour l’œil, tout comme les lumières d’Hervé Gary. La scène comporte une passerelle qui place l’orchestre en son centre, ce qui permet à certains chanteurs de s’approcher du public et de créer une sensation chaleureuse de participation. Des danses viennent agrémenter le spectacle : le Ballet de l’Opéra Royal, parfaitement chorégraphié par Jeannette Lajeunesse Zingg, crée de véritables divertissements d’une grande cohérence plastique et d’un raffinement ludique impressionnant. On s’en amuse vivement, par exemple au troisième acte lorsque la ronde paysanne, dont le chant commence par Et zic et zoc et fric et froc, se met à tourbillonner. Quelle réussite visuelle, tout aussi excellente dans les combats stylisés, menés avec fougue ou lors de l’utilisation de drapeaux, manipulés de façon grandiose, au moment de l’assaut de la forteresse ! Certains diront que l’on frôle parfois la comédie musicale : ils n’auront pas tort, et cela fonctionne à merveille.

Le plateau vocal est brillant jusque dans les qualités théâtrales qui, confirmées par les dialogues parlés, parfaitement intelligibles grâce à des dictions impeccables, sont exploitées avec art. La représentation allie le geste juste à la légèreté, le travail scénique rigoureux aux moments de fantaisie. Les interactions entre l’action guerrière menée pour la libération du Roi, la peinture de la vie quotidienne, les amours en clin d’œil de Laurette et Florestan ou la glorification de la fidélité et du courage sont d’une efficacité maximale. Avec, en plus, un humour sous-jacent qui souligne bien la qualification d’opéra-comique. Le rôle relativement court de Richard est l’apanage d’un Werner Van Mechelen vaillant à souhait et d’une présence héroïque. Le timbre vocal rayonne idéalement, l’air Si l’univers entier m’oublie est un vrai régal. Le ténor Rémy Mathieu est un juvénile et malicieux Blondel, déterminé à aller jusqu’au bout de son entreprise, dans ce rôle qui demande aussi de l’astuce et de la conviction. On apprécie tout particulièrement le fameux air Ô Richard, Ô mon roi, qu’il déroule avec clarté. Quant à la scène où, à l’acte II, il entame l’air de violon que Richard entend et qui le fait reconnaître, elle est noblement émouvante. 

Le rôle de Laurette a été confié à Melody Louledjian, physique avenant, voix délicieuse et fraîche, qui chante avec délicatesse Je crains de lui parler la nuit, air auquel Tchaïkowski assurera l’immortalité dans La Dame de pique. Elle est piquante et fine dans les moments où elle fait face à son père Williams, partisan de Richard, incarné avec faconde par Geoffroy Buffière, pour défendre son amour pour Florestan. Ce dernier, c’est Jean-Gabriel Saint-Martin, élégant en gouverneur distingué, mais imprudent par amour. Marie Perbost se glisse avec subtilité dans le personnage d’Antonio, le guide du faux aveugle Blondel, et elle endosse le rôle de la Comtesse avec le même aplomb. Ce plateau, auquel on n’oubliera pas de joindre plusieurs rôles secondaires bien tenus, est parfait, y compris dans les ensembles auxquels il donne la brillance requise. Quant aux interventions des chœurs, elles sont d’une absolue homogénéité et dosées avec soin.

Sur le CD, si l’on fait le choix de cette option, la distribution vocale est la même à l’exception de Blondel incarné par Enguerrand de Hys. S’il se révèle lui aussi fougueux et dynamique, le timbre semble moins assuré et moins lumineux. Nous préférons le Blondel du DVD, mais l’influence de la vision du spectacle est sans doute déterminante. 

La discographie de Richard Cœur de Lion est assez mince : on connaît la version Erato des années 1970, avec les excellents Mady Mesplé et Michel Trempont, dirigés par Edgard Doneux à la tête de l’Orchestre de chambre de la RTBF, et celle de l’Orchestre du Conservatoire Monteverdi de Bolzano, mené par Fabio Neri pour Nuova Era. Cette nouvelle version du Concert Spirituel balaye tout sur son passage en termes de vivacité, de couleurs et d’intensité dramatique. Le copieux livret, avec quelques belles photographies en couleurs, reprend l’intégralité des textes chantés et parlés, avec traduction en anglais et en allemand. Une petite notice pour chacun des chanteurs-comédiens aurait été une juste récompense. 

Richard Cœur de Lion, spectacle parfait ? Oui, nous ajouterons même : plus que parfait ! 

Note globale : 10          

Jean Lacroix

 

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