Amandine Beyer et les Gli Incogniti : un tourbillon vivaldien

par

 

Antonio Vivaldi (1678-1741). Il Mondo al rovescio. Concerti con molti istromenti. Concerto en ré majeur RV 562 ; Concerto pour flûte en mi mineur RV 432 ; Concerto en do majeur RV 556 ; Concerto en fa majeur RV 571 ; Concerto pour violon et hautbois en sol mineur RV 576 ; Concerto pour violon en la majeur RV 344 ; Concerto pour deux hautbois en la mineur RV 536 ; Concerto en fa majeur « Il Proteo ò sia il Mondo al rovescio » RV 572. Gli Incogniti, violon et direction Amandine Beyer. 2021. Notice en français, en anglais et en allemand. 76.34. Harmonia Mundi HMM 902688.

Amandine Beyer et ses Gli Incogniti nous entraînent dans une nouvelle aventure vivaldienne, avec un Mondo al rovescio (un « Monde à l’envers ») plein de vitalité, d’imagination et de sonorités audacieuses. On ne va pas se priver du plaisir de savourer plusieurs « concerti con molti istromenti » du Prêtre Roux que la virtuose française décrit, dans un texte de présentation, comme un mage, qui se transforme, et qui nous transforme. Amandine Beyer le considère comme un compositeur contemporain, de tous les instants, il nous accompagne au fil des siècles, il est là pour nous soutenir, nous faire rêver, pour nous encourager, nous proposer de nouveaux défis ou des essais impromptus […]. 

On ne se privera pas non plus, avant audition, d’une lecture attentive de la notice éclairante rédigée par le violoniste et musicologue Olivier Fourés, auteur d’une thèse à Lyon en 2007 sur l’œuvre pour violon du maître italien, et collaborateur de l’Institut Vivaldi de Venise. Le signataire détaille des options choisies ici au niveau de l’interprétation, qu’il est bon d’assimiler pour apprécier la qualité de la recherche et de la réalisation. Fourés précise que ces « concerti con molti istromenti » sont des précurseurs de la symphonie, et qu’ils avaient pour but principal d’exhiber les instruments qu’on avait à sa disposition. Il n’en manquait pas à l’Ospedale della Pietà de la cité des Doges : l’une des plus célèbres pupilles de l’orphelinat, Anna Maria (c. 1696-1782) jouait aussi bien du clavecin, du luth ou du théorbe que de la mandoline, de la viole d’amour et du violoncelle.

Le programme propose un éventail de huit concertos, aux timbres brillamment diversifiés. Dès le RV 562 « per la Solennità di S. Lorenzo » qui ouvre la série, on est accueilli par de joyeuses timbales, deux cors, deux hautbois se joignant au violon dans cette page de jeunesse pour en souligner la vie trépidante. Fourés a raison de souligner que ce concerto a été conçu par Vivaldi pour montrer son « inimitable » façon de jouer du violon. On en trouve un autre exemple dans le virevoltant RV 571, aux acrobaties parfois échevelées. Lui aussi s’ouvre par des timbales démonstratives. On écoute tout cela avec jubilation. Amandine Beyer, comme à son habitude, déploie sa facilité d’archet, à la fois précise, acérée et suprêmement racée ; les Gli Incogniti font valoir la qualité de leurs pupitres chaque fois que l’opportunité leur en est donnée.

Les occasions ne manquent pas, par exemple dans le RV 576 où deux solistes principaux, violon et hautbois, rivalisent d’effets et d’inventivité. Ou encore dans le RV 536, avec deux hautbois, dont on salue la souplesse teintée de sensualité, ou dans le très bref RV 432, qui laisse la part belle à l’improvisation. Quant au RV 572 qui clôture le tout avec verve et donne son titre l’album, Il Mondo al revescio, il fait participer à la fête le violon et le violoncelle qui, dans le cas présent, peuvent intervertir leur partie. C’est bluffant à tous égards, dans une atmosphère débridée, Vivaldi ayant fait lui-même un arrangement du RV 544, auquel il a ajouté flûtes, hautbois et clavecin. L’allusion à Protée, fils de Poséidon, qui vient s’ajouter au titre initial, définit bien les capacités d’un dieu marin fluctuant pour de multiples et ludiques changements et modifications.   

Voilà un disque à goûter avec délices. On le placera, comme d’autres dont Amandine Beyer et ses Gli Incogniti nous ont déjà gratifiés, parmi les merveilles vivaldiennes auxquelles on revient sans jamais se lasser. On y ajoutera le choix judicieux, pour la couverture de l’album, de la reproduction de la superbe huile sur bois La Gomera de la jeune artiste Cinta Vidal, née à Barcelone en 1982. Elle est tout à fait dans l’esprit de ce « monde à l’envers » qui nous fait tourner la tête.

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix  



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