Piano à Monte-Carlo Maria-João Pires et un hommage à Nicholas Angelich

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Une semaine après la venue d’Evgueni Kissin sur le Rocher, c’est Maria-João Pires qui fait l’évènement pour un récital qui aura comblé le public. En effet la grande dame du piano est très appréciée du public monégasque qu’elle connaît depuis bien longtemps et pour lequel elle a donné tant de soirées mémorables. On rappellera ainsi que son enregistrement mythique des deux concertos pour piano de Chopin était avec l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo sous la direction d’Armin Jordan (Erato). 

Cette nouvelle escale monégasque d’une tournée internationale proposait un programme taillé sur mesure pour la grande musicienne :  la Suite Bergamasque de Debussy entre deux sonates de Schubert.

Pires nous fait écouter le génie de Schubert, un de ses compositeurs de prédilection, avec des oreilles fraîches. Elle nous entraîne dès les premières mesures de la Sonate pour piano n°13 D.664 dans un monde de poésie. L’artiste exprime la tendresse amoureuse de Schubert avec candeur, sensibilité et intensité tout en alternant gaieté et mélancolie. C'est une exécution exquise où tout est parfait : le toucher, les nuances, les accents, le phrasé, la tonalité.

La Suite Bergamasque est une des plus célèbres compositions pianistiques de Debussy. Maria-João Pires interprète le “Prélude” en tempo rubato avec son expression émotionnelle. C'est festif, joyeux et animé. Elle illustre les sons et les tons comme un peintre, plein de couleurs et de nuances tout en contrastes. Dans le “Menuet”i Pires convoque invention, couleur, beauté, comme une fleur merveilleuse au printemps.  Sa version du célèbre “Clair de Lune” est magique.Tout en étant très retenue et sans précipitation elle a pour elle un plus de sensualité, de passion, d'âme. Dans le mouvement final "Passepied", Pires nous invite à une balade enjouée. La dynamique, l'expression et la technique sont fluidement entrelacées.

La Sonate n°21 D.960 est considérée comme le testament musical de Schubert. L'interprétation  est puissante, féérique, lyrique, hypnotique. Il y a sur le visage une expression de paix et de bonheur. La richesse du toucher, la technique souple, l'aisance parfaite et naturelle, nous emmènent dans un autre monde. Une leçon profonde sur ce qu'est la musique pour piano de Schubert. 

Le public réserve à la pianiste une ovation délirante et Pires offre en bis un autre bijou de Debussy. C’est l’un des plus beaux récitals de piano qu'on ait pu entendre.

Le concert symphonique de la semaine, deuxième concert du cycle "Hommage à Rachmaninov", était déjà  à la mémoire de Nicholas Angelich, disparu bien trop tôt le 18 avril dernier. 

Au programme deux œuvres de jeunesse : le  Concerto pour piano n°1 de Rachmaninov et la Symphonie n°1 de Tchaïkovsky. Nicholas Angelich avait interprété le 1er concerto de Rachmaninov, lors de sa dernière visite à Monte-Carlo, le 29 novembre 2020. Alexandre Kantorow est un des jeunes pianistes favoris du public monégasque depuis sa résidence aux côtés de l’orchestre.  Chacune de ses prestations est inoubliable : techniquement prodigieux, musicien intègre, il atteint le sublime.

Dans le Concerto n°1 de Rachmaninov composer à l'âge de 19 ans, mais retravaillé 25 ans plus tard, Kantorow incarne toute la fraîcheur et la jeunesse de l'œuvre. Lyrisme, élégance, raffinement et puissance, tout y est. La cadence à la fin du premier mouvement est surhumaine. Alexandre Kantorow donne l'impression de jouer sans effort les passages les plus difficiles. L'accompagnement de l'orchestre sous la baguette de Dima Slobodeniouk est dynamique, précis et profondément émotionnel. Le tempo et l'équilibre sont parfaits.

Alexandre Kantorow nous offre deux “bis” : Litanei de Franz Schubert dans un arrangement pour piano de Franz Liszt. Ce Lied de Schubert est rempli de souvenirs de mémoire de ceux qui ont quitté ce monde. L'interprétation d'Alexandre Kantorow est poignante. On se remémore de Nicholas Angelich, que son âme repose en paix !

Vers la flamme  est une des pièces les plus fascinantes d'Alexandre Scriabine. Kantorow nous entraîne dans ce monde apocalyptique, avec une grande intensité. Il nous fait frissonner d'émotion.

Dima Slobodeniouk donne à la tête de l'O.P.M.C. une performance magnifique et stimulante de la Symphonie n°1 de Tchaïkovsky “Rêves d'Hiver".  Le son coloré et parfaitement synchronisé de tous les instruments est impressionnant. Le tempo bien phrasé, le rythme et une dynamique pleinement efficace.

Le premier mouvement est plein d'air glacial de l'hiver, de vent froid qui coule, d'un soleil brillant à travers l'horizon brumeux. La beauté intense du deuxième mouvement, le scherzo envoûtant comme un ballet de flocons de neige, et la tension émotionnelle croissante du finale sont magistralement exécutés par l'orchestre et le brillant chef Dima Slobodeniouk.

Monte-Carlo, Auditorium Rainier III, 6 et 9 Octobre 2022 

Carlo Schreiber

Crédits photographiques : Felix Broede DGG

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