Amici e rivali : Lawrence Brownlee et Michael Spyres brillent dans Rossini

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Gioacchino Rossini (1792-1868) :  Airs et ensembles extraits de Il barbiere di Siviglia, La donna del lago*, Elisabetta, regina d’Inghilterra, Otello*°, Ricciardo e Zoraide°, Le siège de Corinthe*, Armida°Lawrence Brownlee, Michael Spyres (ténors), Tara Erraught*(mezzo-soprano), Xabier Anduaga (ténor). I Virtuosi Italiani, Corrado Rovaris .2020 - Textes de présentation en anglais, français et allemand -79’02 -Erato 0190295269470

Bien sûr, il y a Guillaume Tell. Mais qui irait reprocher au mélomane moyen -à moins qu’il ne suive de très près le Festival de Pesaro et ses magnifiques redécouvertes- d’imaginer les rôles de ténors rossiniens confiés à des timbres légers, gracieux et charmeurs comme ceux qu’on associe à l’Almaviva du Barbier de Séville, le Lindoro de l’Italienne à Alger ou le Don Ramiro de la Cenerentola, rôles où s’illustrèrent jadis un Luigi Alva ou un Cesare Valletti, et où brille de nos jours un Juan Diego Flórez ?

Mais ce serait faire peu de cas de cette exceptionnelle période 1816-1820 où l’impresario napolitain Domenico Barbaja avait dans son écurie plusieurs ténors, dont les remarquables Andrea Nozzari (1775-1832) et Giovanni David (1790-1864). Le premier avait commencé comme classique tenore di grazia avant poursuivre sa carrière comme baritenore, ténor barytonnant, alors que le second déployait un aigu insolent et une superbe aisance dans les vocalises. C’est ainsi que, dans les extraits des opera seria qui constituent le plus grand attrait de ce disque, nous pouvons apprécier la façon dont Rossini oppose ces deux types de ténors avec des résultats dramatiques étonnamment convaincants, mais aussi goûter les feux d’artifice vocaux dont n’est pas avare cet expert en la matière. 

Histoire peut-être d'amadouer l’auditeur encore hésitant, le disque s’ouvre sur une fine interprétation du duo « All’idea di quel metallo » tiré du Barbier de Séville, où à l’Almaviva de Lawrence Brownlee répond le Figaro de Michael Spyres qui, en dépit de sa maîtrise de la tessiture plus grave du rôle, ne peut cacher qu’il est bien un ténor plutôt que le baryton que le rôle demande.

A partir de là, nous partons pour un voyage qui sera pour beaucoup une découverte. Spyres se révèle ici le digne héritier de Nozzari avec son beau ténor aussi agile qu’héroïque allié à un infaillible instinct dramatique. Si Lawrence Brownlee -invariablement stylé et élégant- chante impeccablement les rôles dévolus à David où il fait preuve de vraie grâce et d’une aisance stupéfiante dans l’aigu, on ne peut s’empêcher de penser que son illustre prédécesseur devait sans doute avoir une voix plus souple et légère. Mais trêve d’hypothétiques critiques, ce qui nous offert ici est captivant de bout en bout, tant par la richesse de l’écriture rossinienne qui allie merveilleusement exigence vocale et sens du théâtre, que par les deux excellents interprètes qui paraissent ici -pour renvoyer au titre de l’album- bien plus amis (ou plutôt complices) que rivaux, même si tant de morceaux les opposent. On ne trouvera pas aujourd’hui mieux dans ce répertoire : maîtrise technique (même si parfois -et c’est excusable- on sent l’effort mis à dompter les terribles exigences vocales, il va de pair avec la joie d’y parvenir), virtuosité de haut vol (le « Qual pena in me desta » de la Donna del lago laisse l’auditeur sans voix face aux assauts d’aigus et d’ornements de Brownlee et Spyres), totale implication dramatique.

Qui plus est, les jeunes chanteurs retenus pour les scènes où leur présence est nécessaire sont bien plus que des comparses. Le ténor basque Xabier Anduaga est un Iago particulièrement convaincant dans le Duo « Non m’inganno al mio rivale » extrait d’Otello ainsi que dans le sensationnel Trio final d’Armida, véritable apothéose où les trois ténors s’en donnent à coeur joie.  La mezzo-soprano irlandaise Tara Erraught -voix plus métallique que veloutée, mais vrai tempérament dramatique- est très convaincante dans les trios tirés de la Donna del lago, Otello (où elle est une digne Desdémone) et du Siège de Corinthe (où on apprécie le français très correct de tous les protagonistes).

A la tête des excellents Virtuosi Italiani, le maestro Corrado Rovaris est un partenaire enthousiaste et stylé dans ce récital que tout amateur de virtuosité vocale aura à coeur de connaître.

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10

Patrice Lieberman

 

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