Un récital d’airs français de Rossini et Donizetti par Lisette Oropesa : un régal !

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Airs français de Bel Canto. Gioacchino Rossini (1792-1868) : Le Siège de Corinthe : Acte II, n° 5 : « Que vais-je devenir ?... Du séjour de la lumière » et Acte III n° 12 : L’heure fatale approche… Juste ciel. » ; Guillaume Tell, Acte II, n° 9 : « Ils s’éloignent enfin… Sombre forêt. » ; Le comte Ory, Acte II n° 4 : « En proie à la tristesse… Céleste providence. ». Gaetano Donizetti (1797-1848) : Les martyrs, Acte I, scène 5 : « Ô ma mère… Qu’ici ta main glacée bénisse ton enfant. » ; Lucie de Lammermoor, Acte I, Scènes 6 et 7 : « Gilbert… Ô fontaine… Que n’avons-nous des ailes ? » ; La fille du régiment, Acte I, n° 6 : « Il faut partir » et Acte II, n° 8 : « C’en est donc fait… Salut à la France ». Lisette Oropesa, soprano ; Sächsischer Staatsopernchor Dresden ; Philharmonie de Dresde, direction Corrado Rovaris. 2021. Notice en anglais. Texte des airs chantés en français, avec traduction anglaise. 65.13. Pentatone PTC 5186 955.

Constance dans L’Enlèvement au sérail ou Pamina dans La Flûte enchantée de Mozart, Ophélie dans Hamlet d’Ambroise Thomas, Manon de Massenet, Adina de Rossini, Amalia d’I Masnadieri, Gilda de Rigoletto ou Violetta de La Traviata de Verdi, Isabelle de Robert le diable de Meyerbeer (vue à la Monnaie de Bruxelles en avril 2019) ou, plus récemment, Theodora de Handel (qui vient de paraître chez Erato), voilà quelques rôles, parmi d’autres (Gluck, Puccini, Wagner…), dans lesquels la soprano américaine d’origine cubaine Lisette Oropesa (°1983) a signé des prestations remarquées et acclamées. Voici le deuxième récital de cette voix virtuose que nous offre le label Pentatone, après un programme « Ombra Compagna » en 2021, voué à des airs de Mozart. 

Le choix d’une affiche d’airs français de bel canto coule de source. Dans une note d’introduction, la cantatrice, qui est née à la Nouvelle-Orléans et a étudié à l’Université d’Etat de Louisiane, où elle s’est d’abord orientée vers la flûte avant d’opter pour le chant, pratique aisément la langue française. C’est le premier idiome étranger qu’elle a appris aux Etats-Unis et elle précise qu’il l’attire intensément. On saluera d’ailleurs la grande qualité de sa prononciation. Deux photographies du livret d’accompagnement (exclusivement pour anglophones) montrent une rayonnante Lisette Oropesa dans une somptueuse robe rouge de gala, dont l’étalement sur un grand escalier évoque avec éloquence les qualités vocales qu’on lui reconnaît : maîtrise de la musicalité, clarté du timbre, aigus faciles, ligne noble et magnifique phrasé sont les atouts majeurs d’une soprano colorature lyrique que nous plaçons, en ce qui nous concerne, parmi les plus élégantes et les plus intenses de notre temps.

Lisette Oropesa confirme dans le présent récital tous les compliments que la critique lui a déjà adressés. Elle n’a pas choisi la facilité : trente-cinq minutes de Rossini et une demi-heure de Donizetti, dans des airs choisis parmi les pages que les deux compositeurs ont écrites pour Paris, avec une structure qui fait se succéder des airs lumineux ou éclatants avec d’autres, plus intériorisés. Chacun d’entre eux est un régal, avec peut-être, au sommet de ce disque, en plage 6, Sombre forêt, extrait de Guillaume Tell, « désert triste et sauvage » que Mathilde évoque à l’Acte II, le préférant aux splendeurs des palais. La cantatrice fait partager une vibrante émotion, que l’on retrouve tout autant dans la prière pathétique de Pauline dans l’Acte I des Martyrs de Donizetti. Le choix d’adaptations françaises par les compositeurs à partir de la version originale trouve une justification idéale dans ce que les librettistes Alphonse Royer et Gustave Vaëz, une collaboration franco-belge, ont accompli pour Lucie de Lammermoor. L’air « Que n’avons-nous des ailes ? » recèle des trésors de tendresse et d’infinie caresse lorsque la voix énonce « Ah ! ceux que le monde en vain sépare,/à la mort sont unis dans le ciel. ».

Du grand art, qui se manifeste tout autant dans les extraits du Siège de Corinthe qui ouvrent le récital : « Du séjour de la lumière », tiré de l’Acte II, est une perle absolue, comme l’est aussi la plainte de la Comtesse Adèle dans l’acte II du Comte Ory, dans laquelle Lisette Oropesa rend poignante la souffrance ressentie. Pour conclure, il n’était pas évident, après toutes ces vibrations, d’opter pour des moments de La fille du régiment, là où il faut exprimer une innocence, pour ne pas dire une réelle naïveté. Ici aussi, la cantatrice réussit à traduire l’espérance, le plaisir simple et la gloire, clôturant par un vaillant Salut à la France un programme qui nous comble, nous ravit et nous transporte souvent, le vibrato de faible amplitude que l’on détecte parfois ne faisant qu’ajouter sa part de grâce à la performance de cette grande dame du chant, qui nous procure d’intenses sensations de bonheur lyrique.  

Dans plusieurs airs, des solistes du choeur (la mezzo-soprano Kristina Fuchs, les ténors Frank Blümel, Juan Carlos Navarra et Zhi Yi, et les basses Meinhardt Möbius et Alexander Födisch) donnent la réplique, parfois brièvement, à Lisette Oropesa. Ils méritent d’être cités nommément pour leur implication dans ce superbe récital. Quant aux chœurs et à la Philharmonie de Dresde, que dirige de façon chaleureuse et attentive le chef italien Corrado Rovaris, ils offrent un écrin idéal à ce superbe récital à thésauriser.

Son : 10  Notice : 9  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix  

 

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