Andris Nelsons et la passion du beau son 

par

Anton Bruckner (1824-1896) : Intégrale des Symphonies n°0 à n°9 ; Richard Wagner (1813-1883) : Ouvertures de Rienzi ; Der Fliegende Holländer ; Tristan und Isolde ; Die Meistersinger von Nürnberg ; Tannhäuser ; Lohengrin ; Parsifal ; Marche funèbre de Götterdämmerung ; Siegfried Idyll. Gewandhausorchester Leipzig, Andris Nelsons. Enregistré entre 2016 et 2021. Livret en anglais et allemand. 1 Coffret de 10 CD DGG 028948 64528 2.

Juste à point pour ce début d’année Bruckner, DGG sort en coffret l’intégrale dirigée par le chef star de la maison :  Andris Nelsons. Cette intégrale avait été amorcée en 2016 au rythme d’une ou deux parutions par saison et publiée progressivement au rythme d'une parution annuelle. La seule nouveauté de ce coffret réside dans la Symphonie n°0 qui n’avait pas été éditée séparément précédemment. 

Le grand intérêt de l’écoute sur base de ce coffret est de comprendre la logique interprétative qui gouverne la vision du chef d’orchestre. Nous l’avions déjà en partie cerné lors de nos critiques de certains volumes : Andris Nelsons dirige un Bruckner purement orchestral basé sur un hédonisme sonore mis en avant sans arrières-pensées tant philologiques que philosophiques. On ne cherchera pas ici le dégraissage en règle de Markus Poschner, la cursivité d’Eugen Jochum, la puissance mystique de Sergiu Celibidache ou l’élévation d’un Rémy Ballot. Andris Nelsons fait de la musique pour la musique au pupitre d’un orchestre foncièrement magistral dans sa beauté plastique superlative, dans la qualité du fondu des pupitres et le niveau vertigineux de ses solistes.  Andris Nelsons semble ainsi plus caresser cette masse sonore que diriger. Nonobstant cet état de fait, le chef laisse la musique s’écouler sans jamais chercher à surjouer ou à surdiriger comme nombre de ses confrères. L’un des moments les plus révélateurs de cette approche est le mouvement lent de la Symphonie n°6, au tempo idéal et porté par le dialogue subtil et racé des pupitres qui se parent des plus belles couleurs et des nuances les plus intimes.  

En porte-drapeau de cette vision, on peut placer une Symphonie n°8, certes en puissance avec l’éclat d’un orgue instrumental mais bien menée avec une logique implacable. L’intégrale compte de grandes réussites comme la Symphonie n°7, conquérante, altière et jamais brutale ou la Symphonie n°6, idéalement motorique et contrastée. La Symphonie n°2 qui trouve ici l'une de ses plus belles versions avec une lecture parfaite qui cerne le style de cette œuvre en lui conférant une force intrinsèque. Les Symphonies n°0 et n°1 poursuivent cette approche mais avec une satisfaction légèrement moindre. Parfois, cette vision purement instrumentale met un peu en retrait la portée des œuvres avec des Symphonies n°3 et n°4 qui malgré les qualités techniques s’avèrent trop neutres. Les Symphonies n°5 et n°9 souffrent plus de cette vision car il leur manque une forme de radicalité qu’elle soit cursive ou spirituelle en dépit de la beauté des timbres de l'orchestre, d’incroyables finesses des cordes dans l’ultime mouvement de la Symphonie n°9. 

Point original de cette intégrale : l’ajout d'œuvre de Richard Wagner, qu’il s’agisse des extraits des opéras ou de Siegfried Idyll. Bien évidemment, la plastique de l’orchestre est le grand atout de ces lectures enthousiastes avec une perfection, certes un peu froide, qui se détache dans Lohengrin,  Parsifal et Siegfried Idyll. Cependant, l’excellence instrumentale est pyrotechnique dans les ouvertures de Die Meistersinger von Nürnberg et de Tannhäuser mais plus distanciée dans Tristan und Isolde et la marche funèbre de Götterdämmerung. 

Dès lors, cette approche va diviser. Les plus grincheux vont vouer aux gémonies et aux flammes de l’enfer ces lectures qui peuvent passer pour un crime de lèse-Bruckner, rendant ces symphonies à leur pure logique instrumentale et dépassionnées de métaphysique ou de spiritualité. Mais la vision du chef n’est en rien un contre-sens et universalise le geste brucknérien en ne le surchargeant pas et Andris Nelsons n’est pas le premier à défendre cette optique : Herbert von Karajan (DGG) et Mariss Jansons  (BR), le père musical spirituel d’Andris Nelsons, l’avaient également réalisé. La performance magistrale de l’orchestre, superbement enregistrée, saura parler aux hifistes les plus exigeants. D'autant plus que le Gewandhausorchester Leipzig propose une sonorité encore caractéristique, certes assez mate mais qui se dévoile dans des couleurs fabuleuses des cordes.

Bien évidemment, le panthéon brucknérien est très chargé et cette lecture risque de paraître mal-aimée et sous-considérée comme l’est l'intégrale gravée par Herbert von Karajan.    

Son : 10 – Livret : 8 – Répertoire : 10 – Interprétation : 7/10

Pierre-Jean Tribot

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.