César Franck, début d’une intégrale sur un séducteur orgue sicilien

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César Franck (1822-1890) : Pièce en mi bémol (1846). Fantaisie en do majeur op. 16 [Six Pièces de 1868] Trois Chorals. Rodolfo Bellatti, orgue. Livret en anglais. Octobre & décembre 2021. TT 77’40. Da Vinci Classics C00561

Voici le premier des trois disques que l’éditeur entend consacrer à l’œuvre d’orgue de César Franck, dont la discographie se trouve richement abondée en ce bicentenaire de sa naissance. Jean-Luc Thellin, Michel Bouvard et encore Olivier Vernet ont récemment opté pour trois fameux Cavaillé-Coll. Le présent album révèle les plantureux appas de l’instrument de la cathédrale de Catane, à peine présenté dans la notice. Précisons donc qu’il remonte à 1877, issu d’une commande du Cardinal Joseph Benedict Dusmet (originaire des Flandres) à l’artisan Nicolas Théodore Jaquot, associé de la manufacture vosgienne Jaquot-Jeanpierre. En 1926, l’instrument à trois claviers fut déplacé au-dessus de l’entrée, et agrandi par les facteurs italiens Laudani e Giudici qui installèrent une transmission pneumatique. En 2014, la maison Mascioni rétablit la transmission mécanique, et implanta des sommiers indépendants pour chacun des claviers de Grand Orgue et de Récit, chaque sommier accueillant une des deux strates de l’histoire des tuyaux. L’année suivante, Diego Cannizzaro enregistrait une remarquable carte de visite pour le label italien Elegia Classics.

La partie la plus ancienne laisse admirer l’héritage de la facture classique française, avec des timbres clairs et discernés. Au demeurant, la console présente des limites quant aux pages abordées : un seul clavier en boîte expressive, aucun 16’ dans cet unique plan, absence de 32’ au pédalier (les Chorals appellent pourtant un tel Bourdon), ni plus d’anche sauf à recourir au clavier de Bombarde, également accouplable au clavier principal. Malgré diverses possibilités d’appariement, la palette dynamique n’est pas des plus nuancées, et accuse une physionomie frontale qui simplifie l’étagement sonore et appauvrit les dénivelés. Au demeurant, le bouquet alterne le moelleux et le craquant ; il ne manque rien moins que de panache et de séduction, tel qu’on en juge dès la pièce de 1846, écrite quand le jeune César officiait à l’église parisienne de Notre-Dame-de-Lorette. Après une interprétation pleine de charme de la Fantaisie en ut majeur, plus melliflue que jamais, le programme nous transporte vers l’opus ultimum.

Parmi les enjeux interprétatifs que soulèvent ces trois Chorals figure l’épineuse question du tempo, aiguisée par les indications qu’on en connait et aussi par la signification des valeurs métronomiques. Rodolfo Bellatti endosse une certaine tradition de lenteur qui, selon la notice, « reflète mieux la solennité et l’intériorité » de ces partitions. Effectivement, ces lectures figurent parmi les plus contemplatives que compte la discographie, et les plus élongées qu’on saurait imaginer : près de quarante-neuf minutes pour le triptyque, à comparer aux quarante-sept de Pétur Sakari (Bis) dont nous avions déjà souligné les opulences, -sans même parler de Joris Verdin (Ricercar) qui bouclait le cycle en quelque trente-trois minutes ! Au-delà de la stricte durée, qu’il faut savoir d’autant habiter et modeler, la réticence provient surtout des phrasés plutôt recto tono qu’aligne l’interprète italien. Croisé avec le potentiel de nuances limité que nous déplorions, cette lecture s’entend comme la sage procession de blocs enfilés, aplanis en terrasse. L’auditeur habitué des œuvres trouvera et éprouvera ses marques dans ce parcours au ralenti, mais le néophyte ne risque-t-il de s’égarer voire de s’ennuyer ?

Certes les saillies ne se privent pas d’éclat : les ébouriffantes anches à 7’19 dans le premier Choral, précédées d’une éloquente césure, et plus encore dans l’épisode modulant du deuxième Choral, dantesque à 12’29 ! Certes le discours s’avère constamment plaisant, grâce aux enjôleuses sonorités de l’orgue sicilien et au splendide relief de la captation, mais nonobstant quelques surprises qui libèrent du carcan métrique, que penser d’un propos aussi séducteur que réducteur ? « La liberté interprétative constitue un des aspects qui peut jeter une nouvelle lumière » sur le corpus franckiste, assume la notice. À moins qu’elle ne reconduise hélas les sempiternels clichés de monumentalité qui détournent de ce répertoire. Dommage que les proportions du cadre distendu et les grandioses paliers tendent à figer les patentes suggestivités de l’instant. On ne boudera pas pour autant ce disque car la facture hybride de l’orgue catanais, malgré quelques invalidités, projette elle un stimulant paysage qui sort de « l’ordinaire pitance » Cavaillé-Coll. Et dans le champ de contraintes qu’il subit et s’impose, Rodolfo Bellatti fait beaucoup pour animer le texte et le registrer avec égard. Vues en coupe verticale, les beautés sont innombrables. Et parfois stupéfiantes. Ainsi les incandescences qui s’embrasent vers la conclusion du troisième Choral

Son : 9,5 – Livret : 8 – Répertoire : 8-10 – Interprétation : 8

Christophe Steyne

 

 



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