Anton Arensky et les beautés chambristes
Anton Arensky (1861-1906) : Trios à clavier n° 1 op. 32 et n° 2 op. 73.. 2019. Livret en allemand et en anglais. 58.11. Profil Hänssler PH19072.
Ces deux partitions d’Arensky ont été enregistrées les 23 et 26 mars 1992 ; il leur a fallu parcourir un long chemin pour arriver jusqu’à nous, mais l’attente en valait la peine. D’autant plus que les œuvres ne sont pas courantes, même si le Trio n° 1 a été gravé notamment par le Trio Borodine pour Chandos ou par le Trio Kinsky pour le label Praga. Né à Novgorod, le jeune Arensky présente des dons précoces que sa mère, pianiste, forge patiemment jusqu’à ses neuf ans. Il entre au Conservatoire de Saint-Pétersbourg et y suit l’enseignement de Rimsky-Korsakov pour la composition et l’orchestre. Nommé professeur à Moscou, il comptera parmi ses élèves Scriabine, Rachmaninov, Gretchaninov ou Glière. Arensky va mener de front une carrière de pédagogue, de chef d’orchestre et de compositeur. Il succède à Balakirev à la tête de la Chapelle Impériale de Saint-Pétersbourg en 1895, fonction qu’il occupera jusqu’en 1901. Quoique de santé fragile, de caractère inégal et victime de l’alcoolisme, il laisse une œuvre intéressante : trois opéras, deux symphonies et des partitions pour orchestre (dont Evgeny Svetlanov a laissé de splendides versions), des concertos, des mélodies, deux quatuors, des pièces pour piano et les deux présents trios à clavier. On considère que ce compositeur au romantisme tardif équilibré effectue en quelque sorte une synthèse entre l’influence du Groupe des Cinq, en particulier de Rimsky-Korsakov pour la couleur sonore, et celle de Tchaïkowski, qui lui était proche et lui prodiguait des conseils.
Le Trio à clavier n° 1 date de 1894. Cet hommage à Mendelssohn, écrit dans la tonalité de ré mineur, se révèle à l’audition d’un lyrisme éperdu qui prend à la gorge. Le langage expressif, rythmé et virtuose, emporte l’adhésion par son inépuisable verve mélodique. Dans les quatre mouvements au cours desquels la véhémence le dispute au geste ample, la sombre tension dramatique de l’Allegro, précède un Scherzo qui propose un délicat récitatif en pizzicatos. Suit une élégie qui permet aux instruments de converser sur un mode que l’on pourrait qualifier de découragé face à la vie avant un Final qui fait penser aux pages désenchantées de Tchaïkowski. Dans ce contexte, le piano occupe une place importante, il soutient tout en exaltant, il renforce tout en nuançant avec finesse et subtilité. Cette très belle partition de est une incontestable réussite.
Quant au Trio à clavier n° 2, terminé en 1905, il témoigne de l’état de santé déclinant d’Arensky. De facture sombre et dramatique, il sonne comme un adieu à la vie. L’année suivante, le compositeur décédera de la tuberculose en Finlande, dans un sanatorium où il s’est rendu dans l’espoir de guérir. On ne retrouve plus le lyrisme joyeux du premier Trio, la maladie a mis le compositeur face à lui-même. Le mouvement lent, une Romance, qui se déroule comme un songe nostalgique, fait un peu penser à un Schubert désabusé ; le Scherzo contient des rappels de partitions récentes du compositeur. Le tout s’achève dans un climat de désolation et de tristesse, qui touche l’auditeur.
Le Münchner Klaviertrio, fondé en 1982, compte à son actif une quarantaine de CD qui couvrent toutes les périodes de la musique de chambre, contemporains compris. Il a évolué au fil du temps. Il se composait, au moment de l’enregistrement, d’Adrian Lazar au violon, de Gerhard Zank au violoncelle et de Hermann Lechner au piano. L’homogénéité et la précision, comme l’entente entre les partenaires, est d’une grande évidence. Le trio prend à bras-le-corps ces partitions d’Arensky auxquelles il donne des titres de noblesse mérités. On sera très sensible à la palette de couleurs qu’ils utilisent pour faire de l’opus 32, bijou de la musique de chambre russe du XIXe siècle finissant, un vrai bonheur d’écoute.
Son : 9 Livret : 8 Répertoire : 9 Interprétation : 9
Jean Lacroix